Subjectivité
"Nous allons parler de la construction de la subjectivité.
L’histoire de la subjectivité (qui relève du sujet défini comme être pensant. Ce qui est individuel et varie en fonction de la personnalité de chacun), c’est l’histoire de la manière dont le sujet se construit.
C’est la façon dont il donne sens à ce qu’il rencontre de lui ou du monde extérieur. Ce sens donné par le sujet, définit sa réalité psychique.
L’histoire de la subjectivité débute dès la naissance. Le nourrisson est accueilli dans un berceau psychique et vit dans un été narcissique primaire.
Le narcissisme primaire définit un état anobjectal. Ce qui signifie littéralement « sans objet ».
L’enfant n’a pas de moyen de reconnaître qu’il existe un environnement différencié de lui et une mère qui prend soin de lui et avec laquelle il est en interaction. Cet état anobjectal premier, ne signifie pas qu’il ne perçoit pas les choses du monde extérieur mais il a une perception rudimentaire.
La perception n’est pas un processus passif, c’est un processus organisé. Nous ne nous contentons pas de recevoir des impressions du monde extérieur, nous les organisons en fonction de notre appareil psychique. La perception est donc organisée par la psychée et la subjectivité.
Ce qu’il faut comprendre, c’est que ce n’est pas que le bébé ne perçoit pas les choses extérieures, mais c’est qu’il ne sait pas que c’est quelque chose d’extérieur à lui. Il n’est pas en mesure de différencier correctement ce qu’il produit par son action personnelle et ce qui se passe indépendamment de lui. Alors on dit que le stade premier de la subjectivité est anobjectal.
L’enfant ne différencie pas le « moi » et le « non-moi », ça ne veut pas dire qu’il ne ressent rien ou qu’il ne perçoit pas. Cela veut dire qu’il n’est pas capable de rapporter à lui-même ou à l’environnement ce qui se produit.
Ce qui va être essentiel dans le maternage premier, c’est comment l’environnement, sans le savoir, va venir soutenir et aider l’enfant dans cette difficulté fondamentale. Ce sera le rôle de l’environnement de protéger l’enfant des angoisses, des détresses que va créer en lui cette incertitude fondamentale et essentielle quant à l’attribution de ce qui se produit et de ce qu’il éprouve. Comment va-t-il apprendre cette différence ? Tout d’abord par l’adaptation de l’environnement au bébé.
La première des adaptations c’est la fonction la plus particulière dévolue à la mère et à l’environnement premier du nourrisson.
Cette adaptation maternelle va rendre possible ce que WINNICOTT a appelé « l’objet trouvé-créé ». Elle est destinée à éviter à l’enfant le traumatisme d’être placé devant une alternative : dedans ou dehors, qu’il n’a pas les moyens de gérer. Cette adaptation maternelle rend possible chez l’enfant l’illusion que ce qu’il trouve il le créé et que ce qu’il créé, il le trouve.
S’il faut trouver ce que l’on créé et créer ce que l’on trouve dans les premiers temps de la vie, c’est pour une raison essentielle : nul nourrisson n’est en mesure de différencier ce qu’il trouve de ce qu’il créé. La seule manière d’éviter cette incertitude c’est de « créer-trouver » un monde suffisamment bon et ceci pendant un temps suffisant, c'est-à-dire tant que l’incertitude domine. Ce qui permet à la mère cette adaptation sur-mesure à son bébé c’est ce que WINNICOTT a appelé « la préoccupation maternelle primaire ».
La préoccupation maternelle primaire :
D. WINNICOTT nomme ainsi l’état psychique dans lequel se trouve la « mère suffisamment bonne » à la fin de la grossesse et au cours des semaines qui suivent l’accouchement. Cet état transitoire est caractérisé par une hypersensibilité qui permet à la mère de s’adapter à tous les premiers besoins du petit enfant avec délicatesse et sensibilité.
La préoccupation maternelle primaire a pour condition l’identification de la mère au bébé et c’est elle qui permet à la mère de fournir à l’enfant un « environnement initial de qualité suffisante » indispensable pour le premier développement du « moi » du nouveau-né et notamment pour la formation d’un « sentiment continu d’exister ».
La préoccupation maternelle primaire est une forme du berceau psychique.
Le nourrisson est animé par des besoins physiques mais aussi et dès l’origine par des besoins relationnels qui se traduisent par des états de tension. En cas de montée de tension, le bébé possède une certaine compétence de réponse. C’est une capacité sans doute innée, elle consiste à « halluciner » ce qu’il y a lieu de faire pour abaisser la tension désagréable. Il hallucine les conditions de la satisfaction. Si du point de vue de l’enfant, l’hallucination produit la réalité de la satisfaction, alors le système hallucinatoire va être investi parce que c’est un système qui marche. Alors l’hallucination de l’enfant se transforme en une illusion de création.
Le mécanisme du « trouvé-créé » est celui-ci : pour l’exemple de la faim, l’enfant créé par son hallucination : un sein. Il le trouve par l’adaptation de la mère. Cela produit un processus de type nouveau fait à la fois de l’hallucination primaire de l’enfant et à la fois de l’adaptation maternelle. Cela créé une satisfaction interne chez l’enfant et lui donne l’illusion que son hallucination l’a vraiment satisfait.
Dans la subjectivité, cette illusion est tout à fait fondamentale, c’est l’illusion qu’à l’enfant d’être le créateur de sa propre satisfaction.
Ce mécanisme vaut pour l’ensemble des interrelations précoces.
De la même manière que le bébé se croit le créateur de la satisfaction, il se croit le créateur de l’insatisfaction quand il y est confronté. Face à l’incertitude de savoir si ça vient de lui ou de l’environnement, le bébé tranche cette incertitude et préfère éprouver que ce soit lui qui est à l’origine de ce qui ne se passe pas bien.
Narcissisme signifie bien que la subjectivité rapporte à elle-même ce qui se déroule et s’éprouve, que ceci soit bon ou mauvais.
Les expériences éprouvées par le bébé, constituent la matrice primaire des éprouvés qui se formuleront plus tard. Elles seront constitutives du noyau de notre confiance en nous ou de notre méfiance (insécurité) en nous.
Les illusions positives ou négatives sont toutes deux des illusions narcissiques primaires. Des illusions qui résultent de la difficulté de l’enfant de différencier ce qui vient de lui et ce qui vient du dehors, de l’échec de l’adaptation de son environnement à ses besoins, de l’incertitude dans laquelle il se trouve sur l’origine de ce qui se passe. La défense narcissique qu’il met en place face à cette incertitude est qu’il préfère se croire à l’origine de ce qui se passe que ce soit suffisamment bon pour lui ou mauvais pour lui."
Notes de cours - Jocelyne DEROIDE