Hawthorne (L'effet)
"L’effet Hawthorne fait référence au processus psychologique selon lequel les résultats d’une expérimentation doivent moins à son protocole qu’à la motivation des sujets observés dans l’étude, du fait de l’attention bienveillante dont ils pensent être l’objet. Cet effet d’observation biaisée a eu un impact considérable sur les théories des organisations, et dans de nombreuses disciplines. Il a été rapporté la première fois suite aux célèbres expériences réalisées à Chicago entre 1924 et 1932 au sein de l’usine « Hawthorne », de la Western Electric Company." L'effet Hawthorne Et différentes expériences menées par Elton Mayo et son équipe d’Harvard.
"Les expériences de l’usine Hawthorne appartenant à la Western Electric (WE) ont été menées de 1924 à 1933. L’entreprise employait environ 29 000 salariés fabriquant des téléphones, des centraux téléphoniques et des câbles. Le but de ces études était de réfléchir à l’impact de la fatigue, de la monotonie et de l’éclairage sur la productivité des ouvriers. Six expériences ont été menées, parfois simultanément, dans cinq départements différents de la manufacture. La première expérimentation a initialement été conduite par Homer Hibarger, cadre de l’usine, et Charles Snow, un chercheur du MIT [1]Massachusetts Institute of Technology.. À compter d’avril 1928, l’équipe de chercheurs d’Harvard (i.e. Mayo, Roethlisberger, Whitehead, Whyte et Warner) va piloter les cinq autres expériences. Toutes ces recherches restent sous le contrôle de la hiérarchie de la WE (i.e. Pennock, Hibarger, Wright et Dickson).
Les comptes rendus n’ont été analysés et publiés que quelques années plus tard par Whitehead (1938) et d’une manière plus détaillée par Roethlisberger et Dickson (1939). Depuis, ces expérimentations sont les plus connues et reconnues pour avoir révélé le fameux « effet Hawthorne ». Cet effet désigne l’amélioration de la productivité des salariés du seul fait de l’intérêt accordé par la direction à leur travail. Prenant en compte l’humain et réfutant la doctrine taylorienne, les expériences d’Hawthorne sont considérées par l’École des Relations humaines, ou plus généralement la Théorie des organisations, comme un événement historique (Hassard, 2012 ; Zhong et House, 2012).
Pourtant, ces recherches, de par leur opacité, suscitent bon nombre de réactions : certains auteurs parlent de « mythe » (Bramel et Friend, 1981 ; Rice, 1992 ; Bert, 1999), de fable (Gale, 2004) et même de « légende urbaine » (Kompier, 2006). Ces études ne sont pas toujours présentées dans les ouvrages. Olson et al. (2004) ont analysé ces expériences dans les 21 manuels de psychologie des organisations les plus vendus sur amazon.com en 2003. Tous mentionnent l’expérience sur l’éclairage, 13 décrivent la First relay assembly test room, 12 dépeignent l’expérience Bank wiring observation room, 6 relatent l’Interviewing program, aucun manuel n’évoque le Mica splitting test room ni la Second relay assembly. Or, force est de constater que les sciences de gestion, et a fortiori la gestion des ressources humaines, restent imperméables, par naïveté ou par déni, aux critiques portées à l’encontre de ces expérimentations. Il est donc légitime de s’interroger à ce sujet : existe-t-il un effet Hawthorne et doit-on encore le mentionner ainsi ?
L’intérêt de cette contribution est donc double : obtenir une vision globale de l’ensemble des six expérimentations et souligner les controverses et les critiques qu’elles suscitent. Nous présentons ces expérimentations menées à la WE de façon à respecter la chronologie d’ensemble et la succession logique qu’il existe entre elles ; puis, nous remettons en cause aussi bien leurs résultats que leurs conclusions. En prenant appui sur une revue de la littérature pluridisciplinaire, nous récusons dans ce texte l’existence de l’effet Hawthorne.
Naissance d’un mythe : les études sur l’éclairage artificiel
À l’initiative du National Research Council de la National Academy of Science des États-Unis, et financée par la General Electric, fabricant d’ampoules électriques, une série d’expériences, au nombre de quatre, sur l’éclairage artificiel (nommée Illumination studies) est menée dans l’usine Hawthorne [2]Frank Jewett, responsable des ateliers WE, devient président en… (novembre 1924–avril 1927). À cette époque, les ateliers sont seulement éclairés grâce à des fenêtres et/ou des verreries sur le toit, ce qui pose problème les jours de mauvais temps. Le but était de prouver que l’amélioration de l’éclairage pourrait accroître la productivité des salariés. À ce facteur matériel ont été associés un management bienveillant et un salaire à la pièce.
La première expérience (Illumination test I) menée par Snow, en novembre 1924, dure cinq semaines et se déroule dans trois départements de la WE où sont fixées des lampes au plafond. Dans chaque département, il constitue un groupe test (N = 9) et un groupe contrôle (N ≈ 30). L’éclairage « normal » est de 5.0 Foot candle (noté FC, désignant l’unité d’éclairement américain). La modification de l’éclairage dans le groupe test (de 3.0 à 46.0 FC) n’a eu aucun effet significatif sur la productivité : les résultats sont disparates et varient d’un service à l’autre (Snow, 1927 ; Pennock, 1930 ; Wrege, 1976).
Une deuxième expérimentation (Illumination test II) est conduite de décembre 1924 à l’été 1925. Les participants appartiennent tous au même service et sont divisés en deux groupes de dix : un groupe test et un groupe contrôle. Chacun d’entre eux est placé dans un atelier expérimental au sein de son département respectif avec un système d’éclairage par lampes. L’intensité de lumière varie de 24,0 à 70,0 FC dans le groupe test tandis que l’éclairement de la pièce reste plus ou moins constant dans le groupe contrôle (de 16,0 à 28,0 FC selon la saison et l’heure). Il n’y a pas d’effet de groupe : la production augmente dans la même proportion. Un problème existe dans cette expérimentation : l’éclairage de la pièce ne peut être réellement contrôlé du fait de la lumière naturelle.
Hibarger, avec l’aide de Snow, décide en 1926 de conduire une autre expérimentation (Illumination and psychological test) avec seulement de la lumière artificielle pour éviter le précédent biais, les fenêtres étant opacifiées. Trois groupes de dix participants sont constitués : un groupe contrôle qui a un éclairage constant de 5,0 FC, un groupe test qui a un éclairage déclinant de 1,0 FC allant de 10,0 à 3,0, et un groupe « psychologique » à qui on fait croire à une variation d’éclairage alors que celui-ci reste constant (on remplace l’ampoule par une autre de même intensité devant les opératrices). Hibarger avance, en s’appuyant sur les résultats du dernier groupe, que l’augmentation de la production est uniquement due à la supervision directe. Snow (1927) constate que la production n’a pas augmenté mais bel et bien chuté dans tous les groupes. En revanche, pour Roethlisberger et Dickson (1939), le rendement a augmenté très légèrement dans les trois groupes. Face à ces conclusions contradictoires, les doutes persistent. Roethlisberger et Dickson n’ont jamais participé à cette expérience et leur compte rendu est de seconde main et reste sommaire [3]Seulement 4 pages sur 604 sont consacrées aux expériences…. Il semble que les conclusions de Snow soient plus justes, puisqu’il est l’un des investigateurs de cette expérience. Concernant le « groupe psychologique », les résultats restent ambigus : Hibarger avouera en 1956 qu’aucun subterfuge n’a été mis en place dans ce groupe (Wrege, 1976).
Snow (1927) conclut de ces trois expériences que ni l’amélioration ni la dégradation de l’éclairage n’ont d’incidence sur la productivité. Pour cette raison, Snow et les responsables du National Research Council se sont progressivement désengagés des expériences en 1926. Selon Snow, l’explication de la variation, quand celle-ci a eu lieu, est à chercher ailleurs : 1) la pression de la supervision directe sur les salariés ; 2) les facteurs physiologiques (e.g. maux de tête, fatigue, etc.) et psychologiques (e.g. rêverie, vacances approchantes, etc.) ; 3) l’environnement familial.
Hibarger décide de conduire informellement sa propre expérimentation en 1927 (nommée Moon-light test). Le protocole est le suivant : deux opératrices du département d’assemblage composent le groupe test et deux autres le groupe contrôle. Cette expérimentation se déroule en onze phases détaillées dans le tableau de la page suivante.
Étapes de l’expérience Moon-light test
Phase | Changement introduit | Période | Production | |
---|---|---|---|---|
Groupe Test | Groupe Contrôle | |||
1 | Conditions normales dans le département | 28 janvier – 3 février 1927 | 100 % | |
2 | Installation ateliers expérimentaux | 4 février 1927 | ↑ | |
3 | Matin : 1.0 FC Après-midi : 0.39 FC |
5,0 FC | 5 février 1927 | ↑ |
4 | 0.200 FC | 5,0 FC | 6 février 1927 | ↑ |
5 | Matin : 0.200 FC Après-midi : 0.102 FC |
5,0 FC | 7 février 1927 | ↓ faible |
6 | 0.080 FC | 5,0 FC | / | Production stable |
7 | 0.060 FC | 5,0 FC | / | ↓ forte |
8 | 1.4 FC | 5,0 FC | 28 février 1927 | ↓ faible |
9 | Échange des ateliers expérimentaux | 1er mars 1927 | ↑ dans 2 groupes | |
11 FC | 5,0 FC | |||
10 | Introduction du bureau du surveillant | 21 mars – 9 avril 1927 | 119,5 % ; 117 % | |
11 FC | 11 FC | |||
11 | Conditions de la 10 | 9 – 23 avril 1927 | 119,5 % ; 117 % | |
1 semaine | 2 semaines |
À la phase 1, les opératrices restent dans leur département pour que les chercheurs puissent déterminer leur rendement individuel. Dans la phase suivante, les ouvrières rentrent dans l’atelier expérimental pour prendre leurs marques. Dès le premier jour de la variation de lumière (période 3), l’éclairage est fixé à 1.0 FC le matin et 0.39 FC l’après-midi pour le groupe test dont le rendement devient légèrement inférieur à celui du groupe contrôle. Le lendemain, l’éclairage est diminué à 0,200 FC pour toute la journée et le rendement du groupe test augmente. À la période 5, l’intensité est réduite à 0,102 FC l’après-midi, la production diminue alors légèrement. C’est seulement à partir de 0,060 FC, ce qui correspond à un clair de lune (d’où le nom de l’expérience), que le rendement du groupe test chute vraiment et les personnes protestent (période 7), l’éclairage est alors légèrement augmenté (période 8). Pour la phase 9, le groupe test et le groupe contrôle procèdent à un échange de salle et le groupe test dispose d’un éclairage de 11,0 FC. La productivité des deux groupes a augmenté. Pour la période 10, le bureau d’Hibarger est disposé au milieu de l’atelier pendant quelques semaines. Le taux de production s’intensifie et se stabilise à 119,5 % pour le groupe test et 117 % pour le groupe contrôle. La dernière période confirme ces résultats. Les périodes 9 à 11 démontrent l’importance de la supervision directe sur la productivité.
Que conclure de cette série de tests sur l’éclairage ? Tout au long de ces essais, il apparaît clairement que l’intensité de l’éclairage électrique n’entretient aucune relation avec le niveau de production. En revanche, Hibarger, en prenant appui sur les résultats de la dernière expérience, suspecte l’impact positif de l’encadrement et bien des questions demeurent sans réponses : pourquoi la production diminue-t-elle l’après-midi et est-elle plus faible le lundi et le samedi ? La fatigue est-elle en cause ? Faut-il instaurer des pauses pour y remédier ? Doit-on raccourcir la journée de travail ? Pour y répondre, Hibarger met en place une nouvelle expérience : la première expérimentation d’assemblage de relais téléphoniques. Ainsi se trouve préparée l’expérimentation qui deviendra l’étendard de l’École des Relations humaines.
Première expérimentation d’assemblage de relais téléphoniques (avril 1927– juin 1932)
Dans le premier atelier expérimental d’assemblage de relais téléphoniques (dénommé First relay assembly test room), le travail des opératrices était fastidieux et prenait 40-50 secondes : il fallait assembler 35 pièces dans une boîte de relais. Chaque salariée arrivait à produire environ 50 boîtes de relais par heure, 500 par jour et avait une production moyenne de 2 400 relais par semaine. Hibarger constitue un groupe de six ouvrières de la façon qui suit : il sélectionne deux ouvrières connues pour entretenir un lien d’amitié et leur demande de choisir quatre autres ouvrières en fonction de leur affinité avec celles-ci. Cinq d’entre elles assemblent des boîtes de relais téléphonique et la sixième ravitaille le groupe en pièces détachées. Après l’assemblage d’un relais, chaque opératrice dépose sa production dans un trou de l’établi se situant au niveau de sa main droite. Le relais descend sur une glissière qui enclenche un système mesurant la production et le temps écoulé entre chaque relais. Ce système émet un clic à chaque enregistrement et permet de déterminer le salaire des filles. Le groupe d’opératrices est séparé des autres salariés par occuper un atelier expérimental, et ce, pendant 270 semaines segmentées en 24 phases, chacune étant marquée par l’introduction d’un changement (cf. tableau 2 page 46). Avant chaque changement, les ouvrières sont convoquées dans le bureau du directeur de l’atelier, Pennock, et prévenues des nouvelles conditions introduites : il leur est demandé de travailler comme d’habitude sans tenir compte des modifications. Des observateurs sont constamment présents pour collecter diverses informations : des données factuelles (e.g. les horaires, les pauses, le type de relais, le nombre de pièces produites, le nombre de pièces défectueuses, etc.) et des données subjectives (e.g. les remarques des participantes et des observateurs).
Étapes du premier atelier expérimental d’assemblage de relais téléphoniques
Phase | Changement introduit | Période | Nombre de relais par semaine |
---|---|---|---|
1 | Conditions normales dans le département | 25 avril – 10 mai 1927 | 2 400 |
2 | Atelier expérimental + travail en groupe | 10 mai – 11 juin 1927 | 2 400 |
3 | Incitation financière basée sur le groupe | 13 juin – 6 août 1927 | 2 500 |
4 | 2 pauses de 5 min | 8 août – 10 septembre 1927 | ↑ de la production |
5 | 2 pauses de 10 min | 12 septembre – 8 octobre 1927 | ↑ forte de la production |
6 | 6 pauses de 5 min | 10 octobre – 5 novembre 1927 | 2 400 |
7 | 2 pauses (15 min et 10 min) + collations | 7 novembre – 21 janvier 1928 | 2 500 |
8 | Mêmes conditions que la 7. Fin à 16h30 au lieu de 17h | 23 janvier – 10 mars 1928 | ↑ forte de la production |
9 | Mêmes conditions que la 7. Fin à 16h | 12 mars – 7 avril 1928 | 2 900 |
10 | Mêmes conditions que la 7. Fin à 17h | 9 avril – 30 juin 1928 | 2 800 |
11 | Mêmes conditions que la 7. Samedi matin est supprimé | 2 juillet – 1er septembre 1928 | Production stable |
12 | Retour conditions de la 3. Suppression de tous les avantages | 3 septembre – 24 novembre 1928 | 2 900 |
13 | Mêmes conditions que la 7. Sans les collations. | 24 novembre 1928 – 29 juin 1929 | 3 000 |
Seulement treize phases ont été rapportées par Roethlisberger et Dickson (1939) car au-delà les résultats se dégradent fortement et n’ont pas été systématiquement enregistrés.
Dans la phase 1, les opératrices restent dans leur service pour que les chercheurs puissent déterminer la production individuelle. Dans la période suivante, les opératrices prennent leurs repères au sein du groupe et dans l’atelier expérimental. Les discussions sont officiellement tolérées dans l’atelier. À compter de l’étape 3, le système de rémunération diffère du reste de l’usine. Le salaire est mesuré à partir du rendement moyen du groupe, et non par rapport au rendement moyen des salariées du département (environ 100 ouvrières), pour s’assurer d’une coopération entière et sérieuse des participantes. Dans les phases 4 à 7, de courtes pauses sont instaurées au moment où les rendements diminuaient, c’est-à-dire en fin de matinée et début d’après-midi. Les observateurs constatent que cette situation est due à la faim car les opératrices sautaient leur repas. Pour cette raison, des collations offertes par l’entreprise sont introduites de la phase 7 à 12 (e.g. compotes, fruits, sandwiches, soupes, etc.). Après l’introduction des pauses, les résultats convaincants de l’atelier amènent la direction à instituer celles-ci dans l’ensemble du département d’assemblage en février 1928. Les observateurs continuent à raccourcir le temps de travail (périodes 8, 9 et 11). Au cours de la phase 10, les cadres de la WE dépassés par les résultats font appel à deux universitaires : Clair Turner, ergonome du MIT, et Elton Mayo, psychosociologue d’Harvard. À la phase 11, le travail du samedi matin est suspendu et il a été convenu avec les participantes, pour ne pas financièrement les pénaliser, que la rémunération normalement perçue ce jour-là serait quand même versée. Cette nouvelle est bien accueillie et la production est stable. À la phase 12, les chercheurs retirent les avantages auparavant mis en place (i.e. pauses, collations, réduction du temps de travail) et malgré cela ils constatent que la productivité augmente et perdure. Durant cette période, une organisation informelle s’est rapidement mise en place pour conserver le rendement du groupe : si une personne ralentissait sa cadence, alors une autre opératrice, généralement sa voisine, augmentait la sienne pour maintenir la prime.
La direction a recueilli les propos des opératrices [4]Cent vingt-quatre entretiens non directifs sont menés par… pour savoir ce qui les avait motivées à produire plus :
- le travail en petit groupe ;
- le management amical ;
- le système de rémunération ;
- la nouveauté de la situation ;
- l’intérêt des filles pour l’expérience ;
- l’attention accordée par les cadres et les chercheurs.
Turner (1933) avance le rôle de l’incitation financière sur la productivité du groupe mais considère que ce n’est qu’un facteur parmi d’autres, tandis que pour Roethlisberger et Dickson (1939), ces bons résultats sont en totalité explicables par le manage-ment bienveillant de la direction vis-à-vis des ouvrières.
À partir de la quatorzième phase, les résultats se dégradent et ne sont plus analysés, les ouvrières sont de moins en moins coopératives entre elles. En 1932, l’expérience s’achève, laissant derrière elle certaines zones d’ombre. Pour esquisser à grands traits les critiques qui sont faites, on dira que l’augmentation de la productivité est discutable, que le management de la direction est autoritaire et, pour finir, que le dévouement des opératrices est loin d’être désintéressé. Ces trois points sont analysés plus en détail dans les paragraphes qui suivent.
Étapes du second atelier expérimental d’assemblage de relais téléphoniques
Phase | Caractéristique | Période | Production de relais |
---|---|---|---|
1 | Conditions normales | 27 août – 29 septembre 1929 | 1 634 (100 %) |
2 | Rémunération basée sur le groupe | 26 novembre – 26 janvier 1929 | 1 840 (112,6 %) |
3 | Ancien système de rémunération | 27 janvier – 14 mars 1929 | 1 366 (83,6 %) |
Étapes de l’expérience de la salle de clivage
Phase | Changement introduit | Période | Production en % |
---|---|---|---|
1 | Conditions normales dans le département | 27 août – 20 octobre 1928 | 100 % |
2 | Installation dans l’atelier + Heures supplémentaires. Pas de pauses. | 22 octobre –24 novembre 1928 | 115,6 % |
3 | Heures supplémentaires. 2 pauses de 10 min + collation. Travail dominical | 17 juin 1929 – 17 mai 1930 | 104,4 % |
4 | Pas d’heures supplémentaires. 2 pauses de 10 min avec collation. Travail dominical | 8 août – 10 septembre 1927 | ↑ de la production |
5 | 8 heures par jour. 5 jours par semaine. 2 pauses de 10 min + collation. Pas de travail dominical | 19 mai – 13 septembre 1930 | 104,4 % |
Critiques de l’expérience
L’existence et l’ampleur de l’augmentation de la productivité sont vivement discutées. Certains auteurs montrent, statistiques à l’appui, qu’il n’y a pas eu d’accroissement de production ni, donc, d’« effet Hawthorne » (Franke et Kaul, 1978 ; Pitcher, 1981 ; John, 1992). Dans une veine similaire, Kompier (2006) remarque qu’au cours de la phase 12, les taux horaires de production ont clairement diminué pour 4 des 5 opératrices, ce qui signifie qu’il y a eu confusion entre la production horaire moyenne et la production totale hebdomadaire. Une dernière aberration est soulignée par cet auteur : les données présentées dans Roethlisberger et Dickson (1939) et Roethlisberger (1941) ne sont pas identiques.
Pour d’autres, l’augmentation est minime et à attribuer à un effet d’apprentissage (Pitcher, 1981 ; Bert, 1999) et/ou à la standardisation des relais (Lécuyer, 1988, 1994 ; Gillespie, 1991). Dans la Test Room, les ouvrières n’assemblaient que cinq sortes de relais, contrairement à ce qu’elles réalisaient dans le département d’assemblage (150 modèles différents nécessitant le montage de 26 à 52 composants). L’augmentation de la productivité pourrait résulter d’une « stratégie de l’acteur » puisque les employées ont été prévenues, avant chaque changement, des nouvelles conditions ainsi que des résultats attendus. Elles ont pu de même contrôler la régularité de leur rendement via le signal sonore de l’appareil d’enregistrement (Parsons, 1974 ; Claus, 2007). Ainsi, Gillespie (1991) avance que les ouvrières ont choisi les facteurs les plus favorables pour augmenter leur production (e.g. pauses, collation). Cette conclusion est également partagée par Lécuyer (1994) qui constate qu’elles avaient pris en main leur production en instaurant un système de rotation où chacune devait tour à tour réaliser le quota quotidien de relais.
La reconstitution des interactions dans l’atelier amène à douter de la chaleureuse atmosphère ainsi que du management amical de la direction (Carey, 1967 ; Bramel et Friend, 1981). Au cours de la phase 3, 4 des 6 ouvrières ont été réprimandées par la direction à cause d’un manque de « coopération sincère » et du bavardage qui était pourtant officiellement toléré. Pendant ces moments de divertissement, on a constaté une baisse significative de la productivité, ce qui a abouti au rétablissement d’un management autoritaire avec interdiction de bavardage et exclusion de deux ouvrières [5]Mayo (1945) parle d’une simple démission. Une des deux…. Une autre cause pourrait expliquer leur renvoi par la direction : elles avaient la productivité la moins importante, la direction a ainsi préféré les remplacer (Carey, 1967 ; Walter-Busch, 1990 ; Sarin, 2003). Elles ont été remplacées par deux autres ouvrières « zélées », l’une d’entre elles étant la plus rapide du département d’assemblage. Cette opératrice, dénommée Jennie Sirchio, était soutien de famille et incitait quotidiennement le groupe à accroître sa production. Elle a endossé le rôle de leader autoritaire et, dans le cas d’une absence, son accord préalable devait être obtenu : l’inexpérience de la remplaçante allait automatiquement diminuer le rendement et donc la prime. L’augmentation de la production, sous l’effet du leadership de l’ouvrière, a permis à la hiérarchie de revenir à un management amical (Carey, 1967). Ce sont donc les bons résultats qui engendrent le management chaleureux et non, comme il est souvent mentionné, l’inverse.
Les incitations financières ont-elles joué un rôle-clé dans l’augmentation de la productivité ? Parsons (1974) et Greenwood et al. (1983) ont interrogé les survivants d’Hawthorne : deux opératrices (à savoir Theresa Layman et Wanda Blazejack) et un observateur (Donald Chipman). Tous ont affirmé que l’appât du gain a été l’explication de l’augmentation de la production : les opératrices pouvaient doubler leur rémunération.
Finalement, s’il y avait effectivement un effet Hawthorne, alors la productivité du groupe augmenterait à chaque changement des conditions de l’expérimentation. Pourtant, en regardant les résultats de plus près, quand on introduit des changements, et même en prenant en compte un hypothétique retard de l’effet, la productivité augmente très peu voire diminue. En revanche, cette augmentation, quand celle-ci a eu lieu, s’explique par des facteurs tayloriens tels que la standardisation des relais, la discipline managériale et la motivation pécuniaire des employées.
Minimiser l’importance des incitations financières par rapport aux facteurs sociaux devient un véritable leitmotiv, à la fois pour les dirigeants de l’usine et pour l’équipe de chercheurs d’Harvard. Pour ce faire, une seconde expérience d’assemblage de relais (appelée Second relay assembly test room) est menée.
Seconde expérience d’assemblage de relais téléphoniques (août 1928 – mars 1929)
Cinq nouvelles ouvrières sont désignées par la direction et restent à l’intérieur du département d’assemblage. Les conditions de travail sont ainsi identiques à celles de l’ensemble de l’usine (voir Tableau 3 ci-dessous).
Aucun changement n’est mis en place dans la phase 1 pour déterminer la productivité moyenne des cinq opératrices. En phase 2, les chercheurs expliquent aux ouvrières que le système de rémunération sera basé sur la performance de leur groupe et non sur la performance de l’ensemble du département. La production augmente immédiatement de 12,6 %. Ce système crée des jalousies auprès des autres opératrices du département qui souhaitent le même traitement. En phase 3, sous la pression de Pennock, les chercheurs réintroduisent l’ancien système de rémunération pour pacifier la situation et désamorcer le conflit social : la production des cinq ouvrières diminue de 16,4 %. L’expérience est arrêtée par la direction de WE.
Critiques de l’expérimentation
Que conclure de cette expérimentation tuée dans l’œuf ? Bien que celle-ci ait démontré l’importance de la rémunération dans la productivité, Roethlisberger et Dickson (1939) considèrent pourtant que cet effet est limité du fait de la courte durée de l’expérience et d’une augmentation fluctuante chez une même ouvrière (e.g. l’opératrice R3 : 117,4 % puis 64,7 %) et d’une ouvrière à l’autre. Pour eux, deux éléments peuvent expliquer l’accroissement de la production :
- La compétition entre le premier et le second atelier expérimental de relais téléphoniques : les ouvrières ont voulu faire aussi bien que celles du premier atelier expérimental d’assemblage de relais téléphoniques. Cette interprétation n’a pas de fondement sérieux puisqu’elle s’appuie sur une discussion informelle avec l’opératrice chargée de l’approvisionnement des pièces du premier atelier, qui n’a pas réellement et totalement participé à cette expérience. Par ailleurs, cet effet de compétition n’est pas observé dans la phase 3, où au contraire les ouvrières diminuent leur production pour exprimer leur mécontentement.
- La peur du licenciement dans un contexte économique difficile. Gillespie (1991) doute de cette explication et, selon lui, la crise de 1929 n’a eu aucune incidence sur l’expérimentation. En effet, conscientes de l’importance de l’expérience pour la direction, les opératrices savaient qu’elles ne pouvaient pas être congédiées.
Malgré les explications de Roethlisberger et Dickson (1939), force est de constater que le salaire joue un rôle prépondérant dans la productivité. Pour preuve, Carey (1967) constate que les incitations financières ont produit, en cinq semaines, la même augmentation de production qu’en neuf mois dans le premier atelier expérimental d’assemblage de relais téléphoniques.
N’ayant pu mener leur expérience à terme, les chercheurs mettent en place une nouvelle recherche dans un département plus calme : l’atelier expérimental de la salle de clivage.
Atelier expérimental de la salle de clivage (août 1928 – septembre 1930)
Dans l’expérience de la salle de clivage (Mica splitting test room), les conditions sont les mêmes que dans le premier atelier expérimental d’assemblage de relais téléphoniques (i.e. pauses, collations, réduction du temps de travail, etc.) et le second (i.e. incitation financière). Les chercheurs y ajoutent un salaire à la pièce, des heures supplémentaires et le travail dominical avec une majoration salariale. Leur but est de montrer que les pauses et la réduction du temps de travail n’ont qu’un impact modéré sur la production des opératrices.
Un groupe de cinq ouvrières est constitué et placé dans un atelier expérimental. Deux ouvrières ont été sélectionnées par la direction, elles ont ensuite choisi trois collègues selon leurs affinités. Le travail était minutieux et consistait à cliver des lames de mica et à les calibrer. L’étude a duré cent sept semaines découpées en cinq phases (cf. tableau 4 page 49). Les périodes ont été volontairement plus longues que dans les précédentes recherches afin de mesurer l’impact des modifications dans le temps. Le rendement individuel et les avis des opératrices sont enregistrés.
La première phase a permis d’établir le rendement individuel pour chaque ouvrière et de renforcer la coopération entre elles. Une réunion est organisée avant l’entrée dans l’atelier expérimental pour expliquer aux ouvrières les objectifs de l’étude et il leur est demandé de travailler normalement. À cette occasion, on leur propose de réaliser des heures supplémentaires : elles sont unanimement favorables. Ce changement a été instauré dans la phase 2. Les discussions sont tolérées et l’atmosphère conviviale. Durant l’étape 3, les pauses et le travail dominical sont introduits, et immédiatement plébiscités. Néanmoins, au bout de quelques mois, une aversion forte apparaît contre le travail du dimanche, malgré la majoration salariale. Dans la phase 4, les heures supplémentaires ont été supprimées car une partie de la production de lames de mica est transférée dans une autre usine de la WE située dans le New Jersey. À partir d’août 1929, une rumeur circule : l’ensemble du département mica doit être déplacé dans l’usine du New Jersey. Le 16 septembre 1929, les opératrices du département mica sont toutes redéployées dans les autres services. L’atelier expérimental est épargné mais les heures supplémentaires et le travail dominical sont supprimés. Cette réduction du temps de travail est acceptée : les opératrices sont résignées et se doutent de la fin de l’expérience.
Critique de l’étude
Que penser de cette expérience ? Durant deux années, le rendement a effectivement augmenté mais de façon variable selon les auteurs : 120 % pour toutes les phases selon Pennock (1930) alors que pour Roethlisberger et Dickson (1939) il est de 115,6 % dans les phases 2 et 3 avant de chuter à 104,4 % jusqu’à la fin de l’atelier. Pour ces derniers, l’augmentation de la production n’est pas imputable à l’intérêt financier mais à l’introduction de pauses, tandis que la baisse constatée à partir de la phase 4 s’explique par la crainte d’être licencié suite à la rumeur de déplacement du département mica.
Si, au départ, Roethlisberger et Dickson (1939) souhaitaient minimiser la portée des incitations financières, ils ont oublié dans leur explication que la chute du rendement intervient en phase 4, soit au moment de la suppression des heures supplémentaires, engendrant ainsi une perte de salaire. Ce qui démontre une nouvelle fois la prégnance de la rémunération dans l’engagement des personnes au travail.
Du point de vue de Pennock et de l’encadrement, les buts étaient éminemment pragmatiques : montrer que l’expérience réussissait et que les pauses avaient un effet favorable. Les dirigeants de la WE se concentraient sur les facteurs qu’ils pouvaient gérer à peu de frais. C’est la raison pour laquelle les pauses ont été plébiscitées car, contrairement aux incitations financières, leur introduction n’entraînait pas ou peu de dépenses.
Série d’entretiens individuels (septembre 1928 ˗ début 1931)
Pour compléter ces précédentes expérimentations, et notamment comprendre l’impact d’une surveillance bienveillante sur la productivité, une série d’entrevues (interviewing program) est mise en place dans l’ensemble de l’usine sous la codirection du chercheur Whitehead et du cadre Wright. Les interviews ont été, au début, peu productives, les questions étant très précises (e.g. Comment vous traite votre supérieur ? Comment jugez-vous vos conditions de travail ?) et les interviewers (des agents de maîtrise ou des cadres) non formés à cette tâche. Suite à cela, en juillet 1929, une nouvelle série d’entretiens, moins directifs, est menée, permettant aux interviewés de s’exprimer librement (anonymat garanti et une durée moyenne d’une heure et demie). Au total, 21 126 interviews ont été récoltées apportant des données riches mais dispara- tes : environ 40 000 plaintes sont recueillies et une analyse de contenu permet d’identifier 74 thèmes condensés en 37 catégories. Nous ne présentons ici que les principaux résultats (cf. tableau 5).
Résultats des entrevues
Rang | Thème | Fréquence |
---|---|---|
1 | Rémunération | 6 816 |
2 | Vestiaire | 3 540 |
3 | Sécurité et santé | 3 208 |
4 | Supervision directe | 2 737 |
5 | Heures supplémentaires | 2 273 |
6 | Toilettes | 2 044 |
7 | Lumière | 1 689 |
8 | Ventilation | 1 524 |
9 | Norme de rendement (bogey) | 1 384 |
10 | Emploi | 1 318 |
Critiques de la campagne d’interviews du personnel
Les résultats montrent que la rémunération est l’élément le plus cité dans ces entrevues. La direction accorde peu d’importance à ces critiques, car elle considère que les entretiens individuels ne sont que le reflet de rancœurs personnelles. Pourquoi cet entêtement ? Si l’importance de ce thème est ignorée, c’est certainement en raison de l’objectif affiché par la direction : montrer un management paternaliste et bienveillant, unique source motivationnelle du personnel (i.e. l’effet Hawthorne).
Pour prendre en compte la dimension groupale, une observation directe auprès de six ouvriers est conduite (en mai 1931). Chaque ouvrier sera interrogé puis observé par deux enquêteurs pendant plusieurs semaines dans son atelier afin de voir son activité et ses interactions au sein du groupe. Les chercheurs remarquent qu’il est impossible de comprendre les comportements des travailleurs sans considérer l’organisation informelle qui régule la vie du groupe et impose ses normes. Pour cette raison, cette observation s’achève en 1931 afin d’en mener une autre d’une plus grande envergure : le montage des équipements électriques.
Expérience du montage des équipements électriques (juin 1931 – février 1933)
Mayo confie cette expérience du montage des équipements électriques (nommée Banking wiring observation room) à un ethnologue d’Harvard : Lloyd Warner. Un nouvel atelier expérimental est installé (juin 1931 – mai 1932) afin d’y observer les interactions sociales d’un groupe de 14 ouvriers qualifiés : 9 monteurs (W1 à W9), 3 soudeurs (S1, S2 et S3 remplacé par S4), 2 contrôleurs qualité (I1 et I2, ce dernier remplacé deux semaines par I3). Les ouvriers sont choisis en fonction de leur force physique, leur travail consiste à effectuer des câblages téléphoniques. Ce groupe est surveillé plus de six mois par un observateur qui se rend le plus « invisible » possible et a pour consignes de ne jamais intervenir et de relever toute parole et tout acte se rapportant aux relations sociales et à l’organisation informelle du groupe. En parallèle, un interviewer a réalisé une série d’entretiens pour mieux connaître les participants (e.g. situation familiale, vie sociale, etc.). L’atelier est organisé de sorte que les conditions de travail y soient identiques à celles appliquées au sein du département, notamment le système de rémunération. Les ouvriers doivent atteindre le bogey, c’est-à-dire la norme de rendement fixée par la direction, et perçoivent au-delà un salaire à la pièce. En revanche, le surveillant n’est pas en permanence présent dans l’atelier, ce qui procure au groupe une certaine autonomie. Deux sous-groupes informels se sont ainsi créés (Groupe A : W1, W2, W3, W4, S1 et I1. Groupe B : W6, W7, W8, W9 et S4. W5, S2 et I3 étaient des électrons libres). Une véritable organisation parallèle, informelle, s’est constituée spontanément avec ses propres leaders, ses propres intérêts, ses propres normes de production ainsi que ses propres mécanismes de régulation. Aucune amélioration de la productivité n’est constatée alors que les ouvriers pouvaient manifestement produire beaucoup plus (15 à 20 %) sans effort et en être financièrement récompensés (Rojot, 2005). Ces derniers semblent totalement indifférents aux incitations financières car, selon eux, augmenter la productivité amènerait la direction à accroître le bogey. Un processus de contrôle informel du groupe s’est mis en place, entraînant une règlementation de la production des ouvriers où les contrevenants n’atteignant pas le bogey étaient traités de « profiteurs » (c’était le cas des monteurs W1, W8 et W9) tandis que ceux le dépassant étaient traités de « lèche-bottes » (W2 et W6). Un tel climat social incitait le plus souvent le travailleur zélé ou le profiteur à démissionner. Un code d’honneur informel imposait de ne jamais dénigrer un membre du groupe, ni d’être un « mouchard » de la direction sous peine de sanctions physiques. Ces deux groupes se respectaient, mais entraient régulièrement en conflit pour des raisons absurdes (e.g. fermer une fenêtre ouverte par l’autre groupe) mais restaient solidaires face aux personnes étrangères à l’atelier, e.g. les surveillants ou le ravitailleur en pièces (qu’ils appelaient goofy).
L’expérience est arrêtée officiellement le 19 mai 1932, à cause du manque de travail des participants, mais continue officieusement jusqu’au 8 février 1933. Cinq sur 14 ouvriers ont été congédiés et remplacés par d’autres dont les résultats largement inférieurs à leurs prédécesseurs ne sont pas pris en compte par les chercheurs dans l’analyse des données ni dans les conclusions.
Critiques de l’observation directe
Un problème de validité scientifique se pose. Les résultats n’ont pas été tous enregistrés par les chercheurs car ils se dégradent fortement. C’est pourquoi, une fois encore, nous doutons de l’existence de l’effet Hawthorne. Les faits que nous venons d’examiner montrent qu’à défaut d’autorité légale et formelle dans le groupe, des sous-groupes informels se sont créés pour la remplacer. Ainsi, le principal apport de cette observation est de mettre en avant l’impossibilité de comprendre les comportements des travailleurs sans considérer l’organisation informelle du groupe qui a imposé des restrictions du rendement et de la résistance au changement.
Discussion et conclusion
Dans le présent travail, nous avons présenté les différentes recherches menées à l’usine de la WE pendant près de dix ans et qui ont permis de mettre en lumière le fameux « effet Hawthorne », à savoir que l’amélioration des relations humaines au sein de l’entreprise amène une amélioration de la performance économique. Qui plus est, cette expression est attribuée, à tort, à Elton Mayo qui n’a jamais utilisé cette formulation. La paternité est à accorder exclusivement à Roesthlisberger (Sarin, 2003 ; Kompier, 2006). Quel a été le véritable rôle d’Elton Mayo ? Ce dernier commença à intervenir tardivement à partir des entretiens individuels et s’est borné à apporter certains commentaires aux rapports des expériences et à les faire connaître. Selon Lécuyer (1994 : 105), Mayo « déclina l’offre de Pennock de diriger le programme d’interviews de tous les ouvriers de l’usine, mais suggéra en revanche qu’on lui verse des honoraires comme consultant ainsi que le remboursement de ses frais ». Dans une perspective plus critique, Bruce et Nyland (2011) considèrent qu’Elton Mayo n’était qu’un simple « prête-nom » pour légitimer les expériences du fait de son appartenance à l’université d’Harvard.
Effectivement, les expériences menées à Hawthorne sont le fruit d’un partenariat entre la WE et l’université d’Harvard, deux institutions ayant une forte crédibilité dans la société civile américaine. L’université d’Harvard voulait que les entreprises ouvrent leurs portes à leurs chercheurs, permettant ainsi d’accroître la réputation de l’institution, tandis que l’usine voulait officiellement montrer un management paternaliste à visage humain [6]Une petite anecdote, relevée par Hassard (2012), illustre bien…. Officieusement, les raisons sont plus politiques : réduire les mouvements contestataires de l’époque (en 1919, quatre millions d’ouvriers américains ont fait grève à l’encontre de leurs employeurs), affaiblir l’intérêt des ouvriers vers les politiques alternatives (e.g. le socialisme et le marxisme), annihiler la syndicalisation du personnel (O’Connor, 1999). Sur ce dernier point, la direction de la WE a, entre 1933 et 1936, consacré 25 825 dollars à l’espionnage des ouvriers syndiqués (Hassard, 2012).
De nombreuses zones d’ombre nous poussent néanmoins à douter de l’existence de cet effet. Les chercheurs d’Harvard n’ont commencé à participer aux expériences de la WE qu’en avril 1928, soit un an après la mise en place du premier atelier expérimental d’assemblage de relais et le rapport final de Roethlisberger et Dickson (1939) contenant les résultats a été écrit dix ans après les expérimentations. Par ailleurs, les échantillons, de taille et de contenu réduits, rendent impossibles une quelconque exploitation statistique ni une généralisation des conclusions. De plus, les résultats qui n’allaient pas dans le sens attendu n’ont pas été pris en compte dans l’analyse. S’il y a bien eu augmentation de la productivité, elle reste modeste et n’est en aucun cas la résultante de l’amélioration des relations humaines mais entièrement imputable à la discipline managériale et aux incitations financières.
Il s’est pourtant bien passé quelque chose à l’usine Hawthorne mais quel est le véritable effet mis en avant par ces expériences ? Initialement menées pour en finir avec les fondements de l’OST, les expérimentations menées à la WE démontrent en réalité l’efficacité de la doctrine taylorienne : salaire à la pièce, discipline, standardisation. D’ailleurs plusieurs décennies auparavant, Taylor avait déjà mené des études soulignant l’intérêt des pauses et de la réduction du temps de travail pour réduire la fatigue des ouvriers (Friedmann, 1946 ; Bruce et Nyland, 2011).
L’effet Hawthorne est donc bel et bien un mythe reconstruit a posteriori et qui perdure encore dans nos manuels pédagogiques à cause de chercheurs négligents qui citent ces recherches sans avoir lu les données originelles (Parsons, 1974 ; Rice, 1982).