Méthode Gineste-Marescotti, L'Humanitude
"[...] La méthode Gineste-Marescotti se développe autour de deux situations de soins très classiques : la manutention des malades et la toilette. Ces deux situations occupent dans l’activité des professionnels de soin une place particulière : la manutention parce qu’elle constitue un acte dont la réalisation devient très vite délicate si on veut qu’il soit réalisé en sécurité pour le malade et le soignant ; la toilette parce que dans une journée de soignant elle représente une part très importante du travail ; les deux enfin parce qu’ils sont l’occasion d’un contact très intime avec le patient, ce qui fait qu’on parle volontiers à leur sujet d’actes relationnels ; la toilette notamment est volontiers présentée comme un temps relationnel privilégié [1]. Pour une bonne part la richesse de la méthode Gineste-Marescotti réside dans une reconsidération point par point des techniques relatives à ces deux types de situation. Et toujours pour une bonne part elle se présente tout simplement comme une formation à la toilette..."
[...] En quoi consiste la méthode Gineste-Marescotti ?
D’abord, prenons quelques précautions.
J’ai le privilège de connaître Yves Gineste depuis un peu plus de six ans ; j’ai eu l’occasion d’échanger, trop peu pour mon goût, avec lui ; j’ai suivi une formation à cette méthode en 2001. Je ne suis donc pas totalement au fait des dernières évolutions, mais j’ai le sentiment que ces éventuelles évolutions ne sont pas de nature à bouleverser l’opinion que je m’en étais faite.
S’agit-il d’une méthode entièrement nouvelle ? Il faudrait pour en juger être un bon connaisseur de l’histoire de la prise en soin. Tout ce que je peux dire est que je n’en suis pas sûr. Je me souviens que quand j’ai suivi la formation j’étais ébloui mais au fond pas surpris ; ce que j’apprenais n’était pas révolutionnaire, et mon sentiment était autre : tout ce que j’avais pressenti, tout ce que je pensais, c’était donc vrai, c’était réalisable et j’assistais, encore incrédule, à l’accomplissement de ce que je m’étais contenté de rêver. Je ne suis certainement pas le seul à avoir eu ces intuitions, de sorte qu’à mon sens Yves Gineste se situe plutôt à la fine pointe d’un mouvement de pensée dans lequel il a probablement beaucoup de prédécesseurs. Mais cette remarque ne vaut que pour les principes de base de la méthode. En ce qui concerne son développement et son application pratique, non seulement il a découvert, repéré, mis au point une foule d’innovations qui en font un inventeur de premier ordre, mais en outre il a eu le courage de mettre en application ce que, comme quelques-uns, je n’avais fait que supputer ; et pour avoir eu cette audace il occupe une place particulière dans le prendre soin.
D’ailleurs tout cela importe peu : ce qui demeure c’est que partout où les soignants ont accepté de se former à la méthode Gineste-Marescotti, c’est toute la prise en soin qui s’en est trouvée révolutionnée, et que cette révolution à ma connaissance n’a pas d’équivalent.
LA MÉTHODE GINESTE-MARESCOTTI : [...]
Mais pourquoi faire ?
Quiconque a pénétré un jour dans une institution gériatrique garde pour toujours dans son souvenir l’image de ces vieilles personnes démentes, grabataires, mutiques, recroquevillées, qui semblent ne plus réagir à rien. La toilette de ces patients est souvent très difficile tant leur hypertonie les replie sur elles-mêmes, et tant ils semblent s’opposer aux soins, qui dès lors ne peuvent se dérouler que dans une certaine violence. N’insistons pas sur cette description, les souvenirs qu’elle rappelle à tout soignant sont suffisants.
La base théorique de la méthode Gineste-Marescotti est le concept d’« humanitude ». Yves Gineste dit que tous les animaux se reconnaissent à des spécificités de comportement. Et il décrit six caractères propres à l’humain : le regard, la parole, le toucher, la verticalité, le vêtement, la socialisation. Il dit, ce qui au demeurant ne lui est pas propre, que le nouveau-né doit, pour devenir membre de la communauté humaine, être humanisé ; le processus d’humanisation se fait parce que sa mère lui parle, le touche, etc... il entre alors en « humanitude ». Et Yves Gineste remarque qu’il est possible de sortir de l’« humanitude » : c’est ce que faisaient les nazis aux déportés, c’est ce qui se passe aussi très souvent en gériatrie, quand on a affaire à un patient affaibli par la démence, quand on ne veille pas à maintenir opérationnels tous les canaux d’humanisation [2]. Ici encore, tout professionnel de la gériatrie se souvient de ces malades qu’on a laissés se grabatiser, qu’on n’habille plus, qu’on ne sort plus de leur chambre, et à qui on oublie de parler.
Dès qu’on admet ces points, qui tout de même sont difficilement contestables, la méthode Gineste-Marescotti devient d’une évidence désarmante : il s’agit de réaliser ce soin particulier qu’est la toilette en veillant à rouvrir tous ces canaux d’humanisation. Partir du principe que, démente ou non, la personne dont on va s’occuper est un humain absolu qu’il faut ramener en « humanitude » ; cela se fait en lui parlant, délibérément, en le baignant littéralement de paroles ; cela se fait en le touchant, délibérément, en gardant avec lui en toutes circonstances un contact physique ; cela se fait en veillant au cours de la toilette à aborder les zones du corps dans un ordre qui respecte à la fois les règles d’hygiène [3] et les fondamentaux de l’éthologie humaine ; cela se fait... Ne soyons pas naïfs : les techniques de la méthode Gineste-Marescotti sont le résultat d’un énorme travail d’observation et d’expérimentation, et elles supposent une approche d’une grande précision. Mais enfin cela s’apprend, et si l’application est précise, les principes, eux, sont relativement simples.
Dans ces conditions il se passe deux choses, symétriques et capitales. La première est que le malade est inondé de messages qui lui rappellent sa condition d’humain. La seconde est que le soignant se découvre une manière d’être dans le soin qui, parce qu’elle bannit toute violence, parce qu’elle est fondée sur la confiance en l’autre, sur la confiance en ses propres potentialités, et sur la confiance en ses propres émotions, parce donc qu’elle est tout cela lui permet de se sentir en harmonie avec sa vocation de soignant, et de retrouver (quand ce n’est pas trouver) le bonheur de soigner.
Ne nous attardons pas sur les détails. Ce qui se produit alors dans un grand nombre de cas est tout simplement prodigieux : ces humains se mettent à retrouver des comportements d’humains. On voit couramment de ces déments profonds, grabataires, mutiques, figés, se détendre, regarder, sourire, dire quelques mots, accepter de se remettre debout, de marcher... [4]
L’enjeu est colossal. Les gériatres savent que la maladie d’Alzheimer n’a pas de raison, sauf à la toute fin des dernières semaines d’évolution, de mettre les malades dans l’état où si souvent nous les voyons. Pour le dire en raccourci, neuf fois sur dix le dément grabataire est un grabataire immérité. Et même si, dans l’hôpital où j’exerçais à l’époque, le mouvement avait commencé avant la formation à la méthode Gineste-Marescotti, je témoigne qu’en appliquant des principes voisins nous étions parvenus à ramener à 10% le taux de grabataires, et à 0% celui des contentions. Je ne parlerai même pas des conséquences sur le bien-être des équipes. [...]
Gériatrie, soins palliatifs - Michel Cavey