Parcours
"Les travailleurs sociaux militent depuis longtemps pour un accompagnement global. Gravée dans le marbre de la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale, la notion de projet personnalisé est porteuse de sens. Et depuis ? Le parcours individualisé de l’usager est devenu le nouveau paradigme du travail social. Objectif ? Un suivi cohérent, ce qui suppose d’articuler les interventions entre les dispositifs..."
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"Le parcours s’impose comme nouvelle référence terminologique, et différentes significations lui sont accordées dans les domaines scientifique, de l’emploi, de la santé, de politique sociale, d’action sociale… Il devient un enjeu actuel. C’est pourquoi il a été l’objet d’un séminaire du Cnam organisé par la chaire de travail social et d’intervention sociale, le Laboratoire interdisciplinaire de sociologie économique (lise) et le Groupement de recherches d’Ile-de-France (grif). Ce numéro de Vie sociale reprend la majorité des interventions et ajoute des auteurs donnant des éclairages complémentaires. Il s’interroge sur : qu’entend-on par « parcours » ? Quelles catégories d’analyse et quelles notions utiliser pour saisir les parcours de vie ? En quoi et comment la notion de parcours renouvelle-t‑elle les postures et la pratique professionnelles ? Ce numéro y répond en trois parties : la première analyse les enjeux conceptuels et politiques ; puis quelques pratiques de parcours et projets sont présentées ; enfin sont posées de nouvelles interrogations.
Concernant les enjeux conceptuels, tout d’abord, il est apparu nécessaire de clarifier les différents termes – « parcours », « bifurcations », « ruptures » – qui font partie d’un champ sémantique large et recouvrent des positions théoriques différentes. Les références à la notion de parcours se sont multipliées : le parcours de soins, le parcours de santé, le parcours de vie, le parcours professionnel… Brigitte Bouquet et Patrick Dubéchot montrent, à travers quelques exemples, les multiples déclinaisons de parcours, la diversité de parcours qui sont à étudier en articulant l’approche quantitative et qualitative, et dans leur dimension compréhensive – interpréter le sens et l’interdépendance des parcours – comme dans leur dimension opérationnelle – comprendre et accompagner les parcours…
Puis, quelques jalons théoriques concernant l’étude des parcours de vie des bénéficiaires d’interventions sociales sont posés. S’appuyant sur les travaux d’Andrew Abbott, Claire Ganne s’inscrit dans une approche qui prend en compte l’épaisseur temporelle et la dimension probabiliste des processus. À partir d’une recherche sur le devenir ou le parcours en protection de l’enfance, elle montre comment l’analyse séquentielle permet d’apporter des éléments quantitatifs de compréhension des processus qui ne soient ni uniquement descriptifs ni soutenus par une logique causale sous-jacente. Sa proposition d’analyse des parcours facilite la compréhension de « l’ingrédient » des processus et les enchaînements d’événements, sans s’enfermer dans une recherche des causes et sur l’impact de l’intervention, souvent insolubles en raison de l’interdépendance des dimensions et de l’importance de l’aléatoire, qui est démobilisatrice pour les personnes accompagnées et pour les professionnels.
Deux enjeux politiques sont ensuite étudiés. D’une part, Marcel Jaeger interroge la place du parcours dans les politiques publiques. Il rappelle que la référence de plus en plus fréquente à la notion de parcours tend à l’emporter sur la priorité donnée jusqu’à présent à celle de projet. La notion de parcours est une nouvelle façon de penser l’intervention auprès des personnes en difficulté du fait de la maladie, du handicap, de l’âge, des difficultés sociales et économiques. Partant de l’approche règlementaire de la notion de parcours de soins coordonnés, il analyse que la notion de parcours renvoie du parcours de soins à celui de santé, puis au parcours de vie. De même, il montre que la problématique des parcours est au centre des États généraux du travail social. Il ne s’agit plus seulement d’envisager l’avenir des personnes en définissant, avec ou sans elles, ce qui est censé répondre le mieux à leur intérêt, mais de tenir compte de la réalité et de la complexité de leur parcours de vie, pour mieux les accompagner, y compris dans leurs échecs et dans leurs fluctuations.
D’autre part, à la question « comment viser à une plus grande équité et faciliter les parcours ? », Annick Devaux apporte une réponse par l’exemple de la réforme de la tarification des établissements et services médico-sociaux accompagnant les personnes handicapées (projet -serafin-ph). L’objectif est à la fois technique (l’équité de l’allocation) et stratégique (apporter de la souplesse dans les réponses apportées) afin de faciliter les parcours des personnes handicapées. Des nomenclatures sont proposées, permettant de s’accorder sur un vocabulaire commun pour repérer les besoins et identifier les réponses nécessaires. Par l’adoption d’un vocabulaire partagé entre les professionnels intervenant auprès des personnes handicapées et de leur entourage, et par la levée de freins administratifs et financiers, cette réforme vise à une plus grande fluidité des parcours des personnes accompagnées.
La deuxième partie de ce numéro montre l’accompagnement de parcours, nécessaire pour comprendre et agir efficacement sur les nouvelles situations de vulnérabilité et refaire le lien par le projet.
Du fait que le parcours de vie est vu comme une des orientations prépondérantes tant dans l’étude de la vie des personnes que dans l’action à mener, Céline Jung montre comment dans la protection des jeunes majeurs cela vient remettre en cause les pratiques des travailleurs sociaux. Elle analyse que, dans le travail social, la logique contractuelle, en jouant sur la notion d’engagement, a glissé d’une philosophie émancipatrice à un outil de contrôle et de conditionnalité de l’aide. Aussi, la notion de parcours met la protection de l’enfance face à un défi : articuler continuité et permanence pour le développement de l’enfant et du jeune adulte pour le préparer à une vie adulte.
Alors qu’il existe un développement parallèle de la psychiatrie et de l’action sociale du fait du système de protection sociale, la personne en situation de handicap se situe tant dans le secteur sanitaire que médico--social. Isabelle Simeray montre comment la conscience de la nécessité d’adapter l’environnement social des personnes handicapées a entraîné un projet de plateforme qui prolonge l’action de collaboration des secteurs d’intervention et va créer une offre polyvalente pour éviter les ruptures de parcours. Son expérience de la maison L’Aurore montre de nouvelles modalités axées sur une logique de parcours et sur le travail de coopération réalisé pour en éviter les ruptures.
De même, Catherine Tourette-Turgis réfléchit aux nouveaux types d’accompagnement. Concernant les malades atteints d’affections chroniques, elle montre la nécessité de reconnaître l’expérience acquise dans leur situation par les malades, de les considérer comme acteurs, comme une ressource pour leur trajectoire de rétablissement, appelant les champs de la santé et de l’action sociale à être de plus en plus liés. Cela demande la mise en place d’une organisation reposant sur des unités temporelles mobilisant autrement les notions de temps, de durée et d’intervalles sur lesquels la personne organisait ses activités. De plus, vu que la maladie est une situation mobilisatrice d’apprentissage, Catherine Tourette-Turgis a construit une proposition universitaire en direction des malades chroniques : l’université des patients.
Pour conclure cette partie, Jacques Ladsous demandait de privilégier le parcours, de financer les parcours (au lieu de consacrer le placement), mais souhaitait que le parcours conduise au projet… Il s’appuyait sur Fernand Deligny et son invention de la « Grande Cordée », dans laquelle il s’agissait d’extraire les jeunes délinquants de leur territoire de misère et de leur proposer des lieux d’existence ouverts et bienveillants, de créer des « milieux proches », afin de réconcilier les jeunes avec le monde en leur offrant des possibilités d’expériences, de relations humaines, de découvertes. C’est pourquoi Jacques Ladsous suggérait de reconnaître leur parcours et de recréer leur projet…
La question des parcours et des bifurcations fait l’objet d’approches nouvelles, d’interrogations et questionnements renouvelés, et il semble intéressant d’y consacrer cette dernière partie du numéro.
En raison de l’évolution du travail et de l’injonction à la mobilité professionnelle, Sophie Denave analyse les bifurcations dans les parcours professionnels. Pour comprendre ces trajectoires, elle les appréhende à l’échelle individuelle et à la croisée des contextes d’action et des dispositions mises en œuvre par les acteurs. Pour le montrer, elle analyse deux situations, et les conditions de possibilité des réorientations. Notamment, les positions sociales, les expériences socialisatrices passées et les réseaux relationnels des acteurs jouent de plein fouet sur le déroulement des bifurcations professionnelles.
Fabienne Berton estime que porter attention aux parcours sociaux implique des approches compréhensives, nécessite de s’affranchir des analyses tant statiques qu’unidimensionnelles pour les appréhender dans le déroulement temporel et leurs multiples dimensions. Après un rappel historique sur les origines et l’évolution des travaux sur les parcours en France, elle présente les innovations des approches des parcours sociaux : d’une part, par deux exemples de parcours et de rupture montrant la porosité des sphères de l’existence ; d’autre part, par la présentation de la cohorte elfe qui, en congruence avec l’approche des parcours de vie, permet de comprendre l’aspect dynamique et temporel des réalités individuelles et sociales.
Quant aux questions que pose depuis 2015 le parcours des jeunes qui se radicalisent, deux articles y réfléchissent.
Emmanuel Jovelin pose l’hypothèse que les réflexions sur la radicalisation religieuse de certains jeunes dans des pays européens s’inscrivent dans la configuration plus large des reconfigurations socioéconomiques et de montée des tensions de l’islam politique dans le monde. Pour le montrer, il prend comme modèle explicatif les raisons qui ont conduit Khaled Kelkal (1971-1995) à la radicalisation. Il utilise la méthode de parcours de vie pour analyser l’ensemble de sa trajectoire, familiale, éducationnelle, professionnelle… S’appuyant sur la théorie des opportunités, il émet l’hypothèse que l’islam ne serait dans ce cas qu’une opportunité offerte dans une situation d’instabilité, non pas le fondement qui conduirait à la radicalisation de Kelkal. Face aux tentatives d’intégration contrariées ou ratées, la réponse se trouverait dans un travail social solide au plus près des jeunes et dans des politiques en capacité de répondre à ces trajectoires.
Sandrine Turkieltaub quant à elle, à partir de la pièce de théâtre Martyr de Marius von Mayenburg, propose un éclairage sur les difficultés rencontrées par les professionnels qui accompagnent les jeunes lorsque ces derniers expriment des idées radicales. Cette pièce de théâtre dévoile les mécanismes par lesquels les paroles et actes de provocation et de transgression d’un collégien qui se radicalise, alors qu’il traverse une phase de vulnérabilité, révèlent les fragilités, incohérences, tensions et enjeux de pouvoir qui divisent les éducateurs, au lieu de faire l’objet d’une évaluation de l’équipe et d’être traités comme des appels à l’aide.
Enfin, un extrait du rapport de Michel Thierry intitulé « Valeurs républicaines, laïcité et prévention des dérives radicales dans le champ du travail social » est mentionné ici, car il interroge et propose, dans sa troisième partie, comment « contribuer à la prévention des dérives radicales ».
Cette réflexion sur les parcours, qui reste bien sûr à approfondir, montre, comme l’a dit la cnsa (Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie), une responsabilité collective et la nécessité d’un engagement partagé.
Cairn.info Introduction Brigitte Bouquet, Patrick Dubéchot, Marcel Jaeger Dans Vie sociale 2017/2 (n° 18), pages 7 à 11
sante.gouv.fr/guide_referent_parcours_2019
jeanreneloubat.fr/Parcours-et-projet-de-vie