Habitat Indigne
"La loi du 31 mai 1990 précise que : "Constituent un habitat indigne les locaux ou les installations utilisés aux fins d’habitation et impropres par nature à cet usage, ainsi que les logements dont l’état, ou celui du bâtiment dans lequel ils sont situés, expose les occupants à des risques manifestes, pouvant porter atteinte à leur sécurité physique ou à leur santé".
Il n’est pas nécessaire que soit advenu un accident pour qu’un logement soit "à risque" et donc "indigne".
Le seul fait qu’un immeuble présente un risque pour la santé ou la sécurité conduit à le qualifier d’indigne, qu’il soit occupé par des locataires, des propriétaires ou des occupants sans titre, que l’immeuble soit adapté ou non à l’usage d’habitation et que les désordres proviennent des parties privatives ou des parties communes...
L’habitat indigne ne recouvre ni les logements inconfortables (par exemple, ne disposant pas d’une salle d’eau, de toilettes intérieures et d’un chauffage central), ni les logements non "décents" au sens du décret du 30 janvier 2002, qui relèvent des relations contractuelles entre bailleur et locataire.
L’habitat indigne n’est pas non plus lié au respect des normes de construction, qui évoluent avec le temps. De plus, un logement peut également être qualifié d’indigne alors que les ouvrages sont en bon état (par exemple, un immeuble peut être doté de garde-corps aux fenêtres, en parfait état, mais trop bas ou avec un trop grand écartement entre les barreaux ne pouvant éviter un risque de chute).
Qui mobiliser ?
Les autorités administratives ont l’obligation d’intervenir pour faire cesser les situations d’habitat indigne dont elles ont connaissance.
La procédure à mettre en œuvre et l’autorité compétente dépendent de la nature des désordres affectant le logement.
Il existe des outils pour agir de manière incitative ou coercitive.
Le maire/le président d’Établissement public de coopération intercommunale (EPCI) et le préfet ont à leur service une "police spéciale" permettant de traiter l’habitat indigne en prescrivant par arrêté des obligations de travaux, et/ou d’hébergement, ou de relogement aux propriétaires ou responsables de situations d’habitat indigne. Ces injonctions sont assorties d’un délai d’exécution et de la faculté, en cas de non-exécution par les responsables, de prévoir une astreinte. Il s’agit de la police de la sécurité et de la salubrité des immeubles, des locaux et des installations.
Quels sont les droits des occupants d’un logement indigne ?
Si le logement est frappé d’un arrêté de mise en sécurité ou de traitement de l’insalubrité, les occupants du logement bénéficient de certains droits, notamment :
- la suspension du loyer ;
- un hébergement ou un relogement pendant ou à l’issue des travaux.
Pour en savoir plus, contactez l’ADIL la plus proche de chez vous.
https://www.dordogne.gouv.fr/Actions-de-l-Etat/Habitat-Logement/Habitat-indigne/Le-PDLI-en-Dordogne
"L’HABITAT INDIGNE, C’EST QUOI ?
Il s’agit des logements dont l’état, ou celui du bâtiment dans lequel ils sont situés, expose les occupants à des risques manifestes, pouvant porter atteinte à leur sécurité physique ou à leur santé. L’habitat indigne comprend par exemple les situations de logements insalubres, qui présentent un risque pour la santé des occupants (intoxication au monoxyde de carbone, saturnisme, problèmes respiratoires liés à des émissions de particules dans le logement, électrocution…). L’habitat indigne inclut également les logements concernés par une procédure de péril, c’est-à-dire les situations présentant un risque de stabilité ou de solidité des ouvrages. C’est notamment le cas lorsqu’un immeuble menace la sécurité des habitants, des voisins ou simplement des passants. C’est alors le Maire qui est chargé d’identifier ces désordres et de mener les procédures.
0806 706 806 : le numéro « info logement indigne »
Que vous soyez locataire, victime d’un marchand de sommeil ou d’un logement insalubre, propriétaire ou toute personne ayant connaissance d’une situation relevant de l’indignité, contactez le numéro 0806 706 806, numéro d'appel unique (coût d'un appel local). Un conseiller de l’Agence départementale pour l’information sur le logement (ADIL) sera à votre écoute et vous expliquera les démarches à effectuer.
Pour un locataire, le conseiller apprécie et évalue la nature et l’importance des désordres (humidité, risque d’effondrement de la toiture, chauffage défectueux…) du logement, en s’appuyant sur une grille d’auto-évaluation. Selon les informations qui lui seront communiquées, il complète cette grille et informe ensuite sur les droits et obligations du locataire. Il vérifie également si le bailleur a déjà été informé des désordres et selon quelles formalités.
Pour un bailleur ou propriétaire occupant, le conseiller l’informe de ses obligations et des aides financières disponibles pour faciliter la réalisation des travaux. Les modalités et conséquences de la conservation de l’allocation de logement sont, le cas échéant, portées à sa connaissance. De même, le conseiller indique les démarches d’information préalables à fournir au locataire avant l’exécution des travaux.
En cas d’insalubrité (cumul de désordres avec des problématiques d’humidité par exemple), l’ADIL signale, après accord de l’interlocuteur, la situation à l’Agence régionale de santé (l’Ars). Une lettre sera envoyée afin de l’informer de l’orientation du dossier, après validation par les acteurs du Pôle départemental de l’habitat indigne et ce dans un délai de 2 à 3 jours."
legifrance.gouv.fr/codes/section_lc
"Le souci du législateur à propos de l’habitat insalubre remonte au milieu du XIXe siècle. Depuis, les lois se sont succédées, dans une logique de rationalisation puis d’individuation, glissant du droit à la pierre à l’aide à la personne et s’alignant sur les normes du logement social, à commencer par celle du logement décent. Pouvoirs publics et acteurs associatifs tentent aujourd’hui difficilement de résorber le mal-logement, qu’il soit indigne ou vulnérable.
Si la notion de logement indigne est récente dans le champ juridique, la réalité qu’elle décrit a plus de deux siècles. Du taudis au logement insalubre, du mal-logement à l’habitat vulnérable, les processus de désignation se sont diversifiés. Renvoient-ils aux mêmes systèmes de normes ? Répondent-ils aux mêmes urgences ? Sont-ils portés par les mêmes acteurs ? Ces questions sont fondamentales aujourd’hui pour identifier l’habitat dégradé et les modes d’intervention des pouvoirs publics en relation avec les acteurs sociaux, institutionnels et associatifs. Pour caractériser ces évolutions, nous montrerons que deux processus successifs affectant les normes de logement sont à l’œuvre depuis le XIXe siècle : l’un relevant de la rationalisation, l’autre de l’individualisation.
Le processus de rationalisation
Au XIXe siècle, la notion de logement insalubre est issue de la rationalisation du risque, le mouvement rationaliste issu des Lumières n’imputant plus les épidémies qui déciment le territoire aux fatalités des « malheurs des temps » (Delumeau et Lequin, 1978). Elle doit son apparition à la coordination, l’uniformisation et la planification des activités de lutte contre l’insalubrité, en bref à leur bureaucratisation (Weber, 1921). La première loi sur les logements insalubres, en 1850, veut lutter contre les locaux nuisibles à la santé et s’intéresse aux rapports locatifs. Elle constitue la première tentative de l’État pour s’occuper d’une affaire privée ordinairement traitée par le Code civil. Avançant à pas de loup, l’État charge les municipalités de s’en occuper, projetant qu’un système de normes s’établisse selon les règles et habitudes de chaque localité. S’immisçant dans le contrat privé de location, il déclare défendre avant tout la Santé publique.
Les normes hygiénistes se caractérisent donc par une application prescriptive libérale (car elle laisse les municipalités libres). Cependant, la loi de 1850 indique que seules des commissions locales spécialisées, créées par les municipalités, pourront visiter, à la suite d’une plainte, les appartements mis en location dont les caractéristiques sont de « nature à porter atteinte à la vie ou à la santé des occupants ou des voisins » (Kalff et Lemaître, 2008). Lesdites commissions peuvent condamner les propriétaires à réaliser des travaux d’assainissement. Peu à peu, ces commissions, soucieuses d’homogénéiser leurs jugements, élaborent des critères universels et mesurables de salubrité, comme la présence d’équipements sanitaires dans l’immeuble et le logement, de réseaux d’eaux potables et usées, l’éclairage des pièces habitées, la dimension minimale de celles-ci.
Parmi les critères de l’insalubrité propres à l’habitation figurent donc les défauts du logement (pièces sans jour, absence d’approvisionnement en eau, de systèmes d’évacuation) qui se manifestent par l’humidité, le défaut d’air et de lumière, l’exiguïté des logements, la malpropreté. La commission impose alors aux propriétaires le nettoiement, l’ouverture d’une fenêtre, la création d’un vasistas, la suppression de cloisons, le pavage des cours. À Paris, ces normes se traduisent en statistiques lorsqu’elles sont introduites, en même temps que la mesure de l’encombrement des ménages, dans les questionnaires du recensement de 1891. Grâce à l’action militante du docteur Jacques Bertillon, directeur du Service de statistique municipale, le surpeuplement des logements (lorsque le nombre de personnes est double du nombre de pièces) devient le symptôme des inégalités sociales dans la ville. Les critères retenus pour définir la notion de « pièce » dans un logement renvoient à l’habitabilité puisqu’une « pièce » doit être chauffée et assez grande pour accueillir un lit. Sa statistique permet l’identification des quartiers populaires touchés par la crise du logement et un taux élevé de mortalité (Fijalkow, 1998). Elle plaide aussi pour un effort accru d’équipements publics comme le raccordement au réseau d’égout (loi de 1884), l’alimentation en eau potable des logements, et les cabinets d’aisance, extérieurs aux logements et partagés entre plusieurs locataires. Au tournant du siècle, la popularité des théories pastoriennes conduisent à la mise en place de « casiers sanitaires des maisons » permettant de détecter les « immeubles et les îlots insalubres », en raison de la fréquence de la mortalité tuberculeuse et du bâti dense des grandes villes où le soleil et la lumière ne pénètrent pas. Ces dispositifs qui inventorient et cartographient les immeubles parisiens selon leur équipement sanitaire, leur emprise bâtie et leur mortalité visent les îlots insalubres des centres des agglomérations (tels à Paris les délaissés des opérations haussmanniennes autour des Halles et du Marais, ainsi que les quartiers populaires de l’Est parisien), mais ne se désintéressent pas de l’habitat pavillonnaire qui se développe spontanément dans la ceinture des grandes villes (la « zone ») [1]La « zone » est une bande de terrains vagues bâtie de cabanes… et en banlieue.
La loi de 1902 qui constitue un tournant fondamental formalise ces réflexions. Ce premier texte sur la Santé publique inclut une partie sur l’habitat, stipulant que « dans les agglomérations de 20 000 habitants et au-dessus, aucune habitation ne peut être construite sans un permis du maire constatant que, dans le projet qui lui a été soumis, les conditions de salubrité prescrites par le règlement sanitaire » sont respectées.
Dans ces règlements sanitaires, finalement départementaux en raison de l’incapacité des pouvoirs communaux à les appliquer, l’habitabilité est définie par des critères comme l’installation intérieure d’alimentation en eau potable provenant de la distribution publique ; le nombre de cabinets d’aisance communs en lien avec le nombre d’habitants ; l’existence d’ouvertures à l’air libre ; l’éclairement naturel ; la surface minimale des pièces d’habitation ; la hauteur sous plafond.
Ces normes coercitives se traduisent à l’égard du parc parisien par l’interdiction d’habiter les caves, sous-sols et combles non aménagés ; les locaux doivent être chauffés, compter au moins un cabinet de toilette pour dix occupants, avoir une surface minimale de 9 m². Elles permettent, comme l’expliquera Henri Sellier en 1943, de distinguer le logement normal du logement pathologique dont on interdit l’entrée sur le marché, soit par le refus de construction, soit par l’interdiction à l’habitation et donc à la location.
Le logement social comme modèle
Il n’est guère envisageable de cerner ces éléments conduisant au logement indigne sans évoquer les règles de l’État constructeur des Trente Glorieuses, qui correspondent à des rythmes de construction élevés (culminant à plus de 500 000 unités en 1972) et à une intervention directe des pouvoirs publics dans la politique du logement. Cependant celle-ci vise moins à limiter une pratique qu’à fixer des objectifs techniques pour réguler le marché. Aussi doit-on rapprocher la régulation du parc de logements anciens par la loi de 1948 et les normes du parc de logement social.
Dans le cas des logements anciens, la volonté de maîtriser les tensions sur le marché locatif et de relancer la construction neuve conduit à édicter un « loyer scientifique » en fonction des aménités du logement (exposition, ensoleillement, équipement sanitaire, présence d’ascenseur..). Le décret du 10 décembre 1948 classe les locaux en cinq catégories en fonction de différents critères, dont la qualité de la construction, le confort et l’équipement sanitaire. Ces critères constituent des valeurs implicites correspondant à une certaine représentation de la modernité. La surface réelle du logement est « corrigée » par les éléments de confort, l’état d’entretien de l’immeuble, son exposition et son ensoleillement.
Cependant, cette logique est rompue en 1986, lorsqu’un décret sur les normes minimales d’habitabilité permet de sortir sous certaines conditions les logements de l’emprise de la loi de 1948 (mettant fin à des années de querelles animées aussi bien par les sorties frauduleuses de la loi de 1948 que par les « retours à la surface corrigée » réclamée aux juges par les associations de locataires). Les normes de ce texte se démarquent de l’idéal moderniste de la loi de 1948 et prolongent les dispositions moins ambitieuses encourageant la réhabilitation de l’ancien, la création de l’Agence pour l’amélioration de l’habitat en 1971 ayant pour objet d’améliorer les logements locatifs privés construits avant 1948 et ne disposant pas des trois éléments de confort (WC, salle de bains, chauffage central).
Le second cas, celui du logement social, nourrit depuis son apparition dans l’intervention publique en 1912, avec la loi Bonnevay, une réflexion soutenue en matière de normes. Ainsi, il est aujourd’hui mieux équipé et d’une surface supérieure au parc locatif privé. Cependant des modulations ont été développées en fonction de ses clientèles et de ses visées éducatives pour le peuple (Flamand, 1989). Dans l’arrêté du 30 décembre 1953 mettant en œuvre le plan Courant, les surfaces des logements varient de 30 m2 pour un studio à 90 m2 pour un cinq-pièces, avec d’importantes variations selon le type de logement social (HBMA, HLM A et B, Logecos, PSR, PLR, etc.). Mais ces normes sont encore généreuses par rapport aux marges du logement social comme celles des cités de transit ou d’urgence (Pétonnet, 1981).
Cependant, lorsque, avec la loi du 3 janvier 1977, l’État recompose son intervention dans le logement social en restreignant « l’aide à la pierre » (aux constructeurs) au profit de « l’aide à la personne » (destinée aux ménages), les normes minimales d’habitabilité sont réévaluées. En 1978, l’arrêté fixant les normes de surfaces minimales des logements conventionnés par l’État (et donc l’octroi d’aides au logement pour les locataires) insistent essentiellement sur l’équipement sanitaire, le chauffage et l’isolation thermique du bâtiment.
L’habitabilité est définie pour l’immeuble par la sécurité, la salubrité et l’équipement (étanchéité, gros-œuvre, canalisations) ; et pour le logement par la sécurité, la salubrité et l’équipement (normes dimensionnelles, ouverture et ventilation, coin cuisine, gaz et électricité, WC intérieur, chauffage).
L’habitat hors normes : un traitement de plus en plus individualisé
C’est à l’aune de ce processus de rationalisation et de sa consolidation dans le logement social et dans la régulation du marché privé (loi de 1948) qu’on peut lire l’évolution du regard sur l’habitat hors normes plus tard appelé « indigne ».
Les lois de 1964 et 1970 illustrent les dernières tentatives d’interventions radicales et curatives des pouvoirs publics pour supprimer les dernières poches d’insalubrité. La loi de 1964 sur la résorption des bidonvilles veut avant tout traiter la dimension foncière de la question. Les communes peuvent exproprier les terrains sur lesquels ces campements sont installés, afin de les aménager et d’y construire des cités de transit. La loi dite Vivien de 1970 [2]Loi n° 70-612 du 10 juillet 1970 tendant à faciliter la… rappelle l’existence d’un stock de logements insalubres dans le tissu ancien, au sens de la loi de 1902. Voulant lutter contre les « marchands de sommeil » (qui louent comme habitation des locaux insalubres, non destinés à cet effet), la loi instaure des procédures spéciales accordant au préfet la possibilité de mener une procédure rapide d’expropriation et de n’engager qu’une indemnité réduite. Néanmoins, la distinction entre d’une part « l’insalubrité irrémédiable » entraînant « l’interdiction définitive d’habiter » et l’expropriation et, d’autre part, « l’insalubrité remédiable », qui oblige seulement à des travaux de réparation, repose sur une normalisation minimale de l’habitat. La grille d’application de la loi apprécie la disposition générale du plan des logements (volume et surface), la nature de la construction et des matériaux, la présence ou non d’humidité, l’aération, la possibilité de chauffage, la qualité des équipements y compris sanitaires, l’entretien. En comparaison des dispositifs sophistiqués de la loi de 1948 et des règles de construction de logements sociaux, cette grille fait largement appel à l’appréciation du juge.
Une telle posture à l’égard de logements relevant en grande partie du parc locatif privé annonce les dispositifs des années 1980. Ceux-ci se caractérisent par un affichage éthique et un traitement individualisant des situations, lequel se manifeste par l’abandon des grilles et des normes quantitatives au profit des jugements, ainsi que par le rejet d’une solution unique proposée par un seul acteur reconnu comme légitime (le préfet) et par un rapprochement entre les normes techniques et les normes d’usages. Dans ce cadre, l’État produit des textes, anime des politiques et donne des directions. Il opère comme animateur d’un réseau d’acteurs de l’urbain libres d’agir et d’interagir. En 1998, le rapport de Nancy Bouché sur les enjeux de l’habitat dégradé montre la faible connaissance qu’ont les acteurs du sujet et la complexité des outils de lutte contre l’insalubrité, qui laissent passer dans leurs mailles un sous-marché du mauvais logement. Les objectifs des mesures proposées par l’auteur, inspectrice générale des équipements, sont « d’intégrer explicitement la notion de logement décent respectant la dignité humaine dans le droit au logement, [de] conserver un parc privé à vocation sociale, [de] décourager les propriétaires indélicats et les marchands de sommeil, [de] décourager les nouvelles formes de mauvais logement et [de] prévenir certains processus d’insalubrité, [d’] améliorer le traitement urbain des îlots de pauvreté et de précarité » [3]Nancy Bouché, Rapport d’expertise concernant les édifices…. À législation constante, le rapport de Nancy Bouché propose une nouvelle organisation de la lutte contre l’insalubrité. De son rapport sont issues deux notions importantes : le logement décent et le logement indigne.
Le logement décent
Cette notion n’est pas inconnue du Code civil qui fixe les obligations minimales du bailleur. En se fondant sur cette règle, la loi Solidarité et Renouvellement urbain (2000) considère qu’un logement décent doit être doté des éléments le rendant conforme à l’usage d’habitation : respecter les normes minimales d’habitabilité ; disposer au moins d’une pièce principale d’une surface habitable au moins égale à 9 m2 et d’une hauteur sous plafond au moins égale à 2,20 m, ou d’un volume habitable au moins égal à 20 m3 [4]Article R 111-2 du Code de la construction et de l’habitat… ; assurer le clos et le couvert [5]Décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002.. Le gros-œuvre ainsi que les accès doivent être en bon état d’entretien et de solidité et protéger contre les eaux de ruissellement et les remontées d’eau. Les menuiseries extérieures et la couverture avec ses raccords et accessoires assurent la protection contre les infiltrations d’eau dans l’habitation. Le logement doit disposer des critères de confort minimum (une installation permettant un chauffage normal, une installation d’alimentation en eau potable, des installations d’évacuation des eaux ménagères et des eaux-vannes, une cuisine ou un coin cuisine aménagé, une installation sanitaire intérieure au logement, un réseau électrique permettant l’éclairage suffisant) et ne pas présenter de risques manifestes pour la sécurité physique ou la santé de ses occupants. Un logement faisant l’objet d’un arrêté d’insalubrité au titre de la loi Vivien (logement insalubre) ou de péril (édifice menaçant ruine) ne saurait donc être considéré comme décent.
Cependant, si le locataire peut, en droit, demander au bailleur, et au juge, la mise en conformité du local, la question de la dimension sociologique de sa capacité à agir en justice reste entière. Sans prise en charge par l’État, le logement décent nécessite l’intervention de divers organismes et associations spécialisés dans l’amélioration de l’habitat et les rapports entre bailleurs et locataires.
Le logement indigne
La notion d’habitat indigne issue de l’article 84 de la loi de mobilisation pour le logement et de lutte contre l’exclusion du 25 mars 2009 [6]Loi n° 2009-323 du 25 mars 2009 de mobilisation pour le… est posée différemment. Elle vise l’ensemble des situations de déni du droit au logement portant atteinte à la dignité humaine dans lesquelles les occupants sont exposés à des risques pour leur santé ou leur sécurité. Elle concerne les locaux où le plomb est accessible (saturnisme), les immeubles menaçant ruine, les hôtels meublés dangereux, les habitats précaires dont la suppression ou la réhabilitation relève des pouvoirs de police administrative exercés par les maires et les préfets. En conséquence l’habitat indigne dépasse le champ des logements inconfortables, c’est-à-dire ne disposant pas à la fois d’une salle d’eau, de toilettes intérieures et d’un chauffage central, et des logements non « décents » au sens du décret du 30 janvier 2002, qui relèvent des relations contractuelles entre bailleur et locataire.
Ainsi le texte, qui se qualifie lui-même de mobilisateur, prévoit une forte implication des acteurs locaux, notamment des travailleurs sociaux et des maires, en s’appuyant sur le Règlement sanitaire départemental et le Code de la santé publique. Il se situe dans la continuité de la loi Engagement national pour le logement de 2006 [7]Loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national…, qui précise les procédures d’urgence, la simplification des arrêtés de périls, l’extension des consignes du maire pour stopper les occupations de locaux insalubres et le renforcement des sanctions pénales.
En 2007, la mobilisation politique et associative qui a donné naissance à la loi Dalo a renforcé l’attention portée à l’habitat indigne, la loi Dalo facilitant l’accès au droit au logement des occupants d’habitats dégradés? [8]Selon la loi Dalo, « la saisine de la commission de médiation…. Dans le projet de loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (2013-2014), les limitations à l’accès au marché du logement pour les « marchands de sommeil », les contraintes pesant sur les propriétaires bailleurs en matière de travaux ainsi que les moyens d’agir accordés aux intercommunalités illustrent aussi le renouveau d’une phase active de la puissance publique. Les notions « d’habitat indigne » et de « logement décent » conduisent ainsi à une judiciarisation des actions. Mais si le logement indigne relève, comme le logement décent, d’une individualisation des solutions et d’un diagnostic appréciatif du juge, il débouche aussi sur une réelle difficulté à établir des priorités techniques en lieu et place d’arbitrages moraux souvent contestés par les ayants droit (Dietrich-Ragon, 2011).
Le logement vulnérable
Depuis les années 1980, l’État prend de plus en plus en considération les situations de vulnérabilité résidentielle indépendamment du bâti (Fijalkow, 2013). Pour les repérer, les premiers rapports de la Fondation Abbé Pierre (1995) se fondaient assez largement sur les critères de l’Insee, malgré leur insuffisance : installations sanitaires dans les logements et degré de peuplement des logements. Mais ces éléments utilisés par les collectivités locales sont peu adaptés à l’identification de personnes dont la vulnérabilité a des conséquences sur leur stabilité résidentielle.
Ainsi, le chiffre de 600 000 logements vulnérables et un million de personnes concernées, relevé par la loi de 2009 est minimal, sachant que le parc ancien construit avant 1948 (un tiers du parc) peut être qualifié de « passoire thermique », dans lequel trébuchent près de quatre millions de ménages en difficulté de paiement, en raison notamment de problèmes liés à leur mode de vie et au cadre bâti dont l’organisation matérielle et les matériaux de construction rendent le chauffage difficile et coûteux. De la même façon, la présence de plomb dans les peintures de logements anciens concerne 878 000 logements, dans lesquels des cas de saturnisme infantile s’avèrent plus ou moins probables selon les types de ménages? [9]« Exposition des enfants au plomb et autres métaux toxiques :….
Ces deux exemples illustrent les difficultés de repérage et de dénombrement des logements vulnérables, d’autant plus qu’en temps de pénurie, les arrangements entre particuliers prennent le pas sur les normes d’hygiène, que les pouvoirs publics peinent à faire respecter malgré les plans d’éradication de l’habitat indigne. La location de caves, de placards, de parkings, d’anciens locaux commerciaux aux fins d’habitation existent dans les villes aux marchés immobiliers tendus et persistent grâce à la complicité tacite des parties prenantes, y compris des locataires qui n’ont pas d’autre alternative.
Ainsi, le noyau dur du mal-logement comptabilisé par la Fondation Abbé Pierre, 3,6 millions de personnes, est avant tout constitué de populations rejetées par le marché et les secours institutionnels durables, et dirigées vers des sous-marchés. À ces personnes rejetées par le marché officiel, on peut ajouter celles qui sont partiellement acceptées dans le cadre de baux très précaires d’un an seulement, c’est-à-dire louant des appartements en meublé (173 000 personnes), et celles qui n’ont droit qu’à la partie la plus dévalorisée du parc, des logements sans confort ou trop exigus (2,8 millions).
Toutes ces situations précaires et fragiles renvoient à des mécanismes de tri résidentiel opérant une sélection entre les habitants qui se traduit par une mise à distance de certaines populations de la part des bailleurs publics et privés ainsi que des institutions. De plus, les contextes locaux aggravent la vulnérabilité résidentielle. Les copropriétés en difficulté, notamment dans les territoires en déclin, concernent plus de 350 000 propriétaires occupants de logements acquis dans des immeubles connaissant de graves difficultés techniques, financières et sociales. De même, dans un contexte de pénurie et de cherté, près d’un demi-million de ménages sont confrontés à des impayés de loyers. Par extension, on peut aussi s’interroger sur les fragilités résidentielles résultant des opérations de rénovation urbaine dans le cadre de l’Anru (250 000 logements au programme 2009-2013) [10]Loin de minorer la crise, on peut penser que le retard du…, comme celles des ménages populaires dans des quartiers connaissant un processus de gentrification. On assiste dans chacune de ces situations locales à un rétrécissement de l’offre locative (de grands logements bon marché dans les opérations Anru, de petits logements accessibles sans formalités dans les quartiers en gentrification), qui peuvent conduire les populations qui veulent rester dans leur logement à négocier leur place, au prix même d’une diminution de leur confort.
Au XIXe siècle, dans le champ normatif français du logement, la notion d’habitat insalubre a défini ce que l’on pouvait construire, vendre et louer et ce qui pouvait donc être implanté sur le territoire et entrer sur le marché. La norme était prescriptive. La possibilité, en 1948, de réguler le marché selon des normes s’est appuyée sur le logement social par l’intégration de normes de confort.
Cependant, avec la recomposition de son activité liée au conventionnement des années 1970, le logement social n’est plus l’unique modèle normatif. On a ainsi assisté, dès les années 1980, à une inflexion qualitative, individualisante et humanitaire en direction du parc de logement locatif privé, dont on sait par ailleurs la difficulté à se développer en France, face à l’accession à la propriété qui absorbe une grande partie de l’effort public et au parc social qui connaît une lente progression.
Cette évolution des normes du logement indigne peut s’expliquer de différentes manières, non exclusives les unes des autres. Elle peut relever d’une tentative d’accommodement face à des rapports locatifs particulièrement sévères sur les marchés tendus. Elle trouve aussi son explication dans le droit prioritaire d’accès au logement social pour les ménages logés dans un logement indigne. Elle s’intègre sans doute dans une dimension plus large qui concernerait l’ensemble du champ normatif, celle des normes du logement durable fortement accréditées aujourd’hui, par des labels associés à des prêts, subventions et autres niches fiscales. Cette évolution trouve aussi une légitimité avec le phénomène de précarité énergétique, qui touche près de 4 millions de personnes en France et qui relève à la fois de l’urgence sociale pour ces ménages et d’une préoccupation écologique. Enfin, il peut s’agir également de faire entrer le parc de logement locatif ancien et sa population dans un nouveau système de valeurs et d’économie du logement, comme cela a été le cas après la loi de 1948.
Notes
- [1]
La « zone » est une bande de terrains vagues bâtie de cabanes en matériaux très précaires autour de Paris derrière les fortifications (l’enceinte de Thiers), dans la zone non aedificandi, et qu’occupa, dès la fin du XIXe siècle, une population très pauvre dite de « zoniers ») (Leveau-Fernandez, 2005).
- [2]
Loi n° 70-612 du 10 juillet 1970 tendant à faciliter la suppression de l’habitat insalubre.
- [3]
Nancy Bouché, Rapport d’expertise concernant les édifices menaçant ruine et les immeubles et îlots insalubres, La Documentation française, 6 octobre 1998.
- [4]
Article R 111-2 du Code de la construction et de l’habitat (CCH).
- [5]
Décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002.
- [6]
Loi n° 2009-323 du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion.
- [7]
Loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement.
- [8]
Selon la loi Dalo, « la saisine de la commission de médiation est ouverte aux personnes qui se trouvent soit sans domicile, soit menacées d’expulsion sans relogement, soit hébergées dans une structure d’hébergement, soit logées dans des locaux impropres à l’habitation ou présentant un caractère insalubre ou dangereux, soit logées dans un logement ne présentant pas d’éléments d’équipement et de confort exigés (absence de chauffage, d’eau potable…) ».
- [9]
« Exposition des enfants au plomb et autres métaux toxiques : des données françaises inédites”, communiqué de presse (2012), EHSP, IRSET, CSTB.
- [10]
Loin de minorer la crise, on peut penser que le retard du programme de l’Anru (106 450 démolitions sur 140 000 prévues, 96 460 démolitions sur 135 000 prévues) avec une offre reconstruite à 61?% en Plus CD (loyer minoré pendant plusieurs années) et une place réduite (12 %) des Plai, fragilise le relogement des populations.
cairn.info Le logement indigne : une nouvelle norme de l'action publique ? Yankel Fijalkow Dans Informations sociales 2014/4 (n° 184), pages 18 à 30