Assignation
"En sciences sociales, l’assignation correspond au rôle ou aux rôles qui sont attribués à un groupe social en fonction des représentations majoritaires, c'est-à-dire en fonction d’une norme. Ce groupe social ou cette minorité doit se conformer au rôle qui lui est assigné sous peine d’être considéré comme sortant de la norme. Le terme est proche de celui d'injonction sociale.
Les études sur les minorités raciales ou ethniques utilisent le terme pour revendiquer la possibilité de parler de populations racialisées, ou racisées c’est-à-dire dont l’identité est assignée à une représentation raciale. Un groupe racisé regroupe des individus qui font l'objet d'une assignation raciale, c'est-à-dire sont définis par la majorité de la population par une appartenance raciale plutôt que par d'autres critères. « En somme, la catégorisation trace au moyen d’injonctions et de verdicts les frontières sociales à l’intérieur desquelles le groupe social en formation reconnaît les propriétés communes qu’il est censé partager avec les autres membres et qui formeront progressivement leur identité. » (Bessone et al., 2015).
Tout groupe social peut faire l'objet d'une assignation, qui peut dans certains cas avoir un effet performatif, dans la mesure où certains membres du groupe concerné peuvent s'efforcer de correspondre aux représentations qui lui ont été assignées. Les stéréotypes de genre, d'orientation sexuelle, d'appartenance ethnique, ou encore de classe, sont des exemples d'assignations qui tendent dans certains discours à essentialiser des groupes sociaux. Pour certains chercheurs, « toute référence à des "essences" naturelles devrait être rejetée comme une illusion naturaliste et déterministe susceptible de rigidifier et de fixer définitivement des identités ainsi considérées comme socialement acceptables parce que « naturelles », ou considérées comme non naturelles et donc socialement inacceptables. » (Bessone et al., 2015). En ce sens les travaux sur l'assignation relèvent largement d'une approche constructiviste.
Les géographes relèvent également des assignations spatiales, ou injonctions spatiales, dans lesquelles c'est un espace et ses habitants qui font l'objet d'une représentation et d'une assignation : le périurbain, les banlieues, les quartiers riches, les gated communities, les campagnes, les villes, les grandes métropoles, etc. peuvent faire l'objet d'assignation qu'il appartient aux chercheurs de déconstruire. L'injonction spatiale peut également désigner chez certains auteurs les injonctions sociales liées à la pratique de l'espace, comme l'injonction contemporaine à la mobilité.
(JBB) décembre 2017. Dernière modification : juin 2020.
Pour compléter
- Magali Bessone, Alexis Cukier, Christian Lazzeri et Marie-Claire Willems, « Identités et catégorisations sociales », Terrains/Théories [En ligne], 3 | 2015, mis en ligne le 26 octobre 2015.
- Yves-François Le Lay, « Représentation », notion à la une de Géoconfluences, janvier 2016.
- Romain Guillemard, « Espaces ruraux, inégalités scolaires et stéréotypes de lieux en France, le cas du Roannais (Loire) », Géoconfluences, janvier 2021.
geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/assignation-injonction-spatiale
"Les sociétés modernes sont fondées sur le principe de l’égalité de leurs membres. La méritocratie, c’est-à-dire l’idéologie selon laquelle seuls les talents ou les efforts des individus justifient les inégalités se heurte au constat que perdurent des différences ne relevant pas de ces critères. Une partie de ces différences trouve son origine dans ce que le sociologue Max Weber appelait des groupes de statut, dont la caste en Inde fournit un exemple porteur de leçons générales. Des processus d’assignation identitaire rattachent, de l’extérieur, des individus à des catégories. Celles-ci peuvent être ethno-raciales, de genre, mais aussi de religion, d’orientation sexuelle, voire liées au lieu de résidence, à l’âge ou à la situation de handicap. Les pénalités infligées en raison de l’assignation à une identité sont couramment désignées comme des discriminations. Ces dernières structurent une hiérarchie et une stratification sociales et contribuent donc à façonner des inégalités en même temps que des identités. Comment comprendre la formation de rapports sociaux inégalitaires issus d’assignations identitaires (I) ? Quels sont les mécanismes par lesquels ces inégalités sont concrètement produites (II) ?
En suivant les travaux de Max Weber, pour qui l’ethnicité était un moyen d’obtenir un monopole statutaire (d’honneur ou de prestige), Charles Tilly voit dans les inégalités sociales des mécanismes de contrôle et de clôture qui permettent de résoudre un ensemble de problèmes organisationnels et produisent donc une stratification pérenne…"
cairn.info Chapitre III. Les formes de l’assignation identitaire Nicolas Duvoux Dans Les inégalités sociales (2021), pages 56 à 81