Engagement (psychologie sociale)

"Plusieurs des décisions majeures que nous prenons au cours de notre vie impliquent des choix difficiles dont nous tentons de mesurer les avantages, les coûts et les compromis associés.
De tels choix surviennent autant dans les sphères académique et professionnelle de la vie que dans les sphères amoureuse ou personnelle : les gens se trouvent fréquemment confrontés à une question qui provoque parfois de la confusion, de la crainte ou de l’incertitude, mais à laquelle personne n’échappe en bout de ligne : va-t-on s’engager ou non ?...

Et peu importe la réponse qui ressort des délibérations intérieures évoquées par cette question, les décisions qui en découlent ont généralement un impact important sur l’ensemble du fonctionnement personnel qui s’ensuit.

Bien que la notion d’engagement soit étudiée depuis déjà quelques décennies, ce n’est que récemment que l’étude spécifique des composantes et des mécanismes psychologiques sous-jacents à l’engagement représente un intérêt grandissant de recherche dans le domaine de la psychologie. Cet intérêt est marqué par le désir de comprendre par quels moyens, pour quelles raisons et dans quelles circonstances un individu parvient à développer et à maintenir une ligne persistante de conduite envers une personne, un groupe, une activité ou un projet.

Le fait de connaître et de bien saisir le construit d’engagement peut éclairer à plusieurs égards la compréhension que nous avons du fonctionnement humain, d’autant plus qu’un nombre croissant de travaux en psychologie démontre que l’engagement et/ou la capacité de s’engager sont positivement associés au bien-être personnel (Brault-Labbé, 2006 ; Brault-Labbé et Dubé, 2008 ; Brault-Labbé, Lavarenne, et Dubé, 2005 ; Dubé, Jodoin, et Kairouz, 1997 ; Emmons, 1986 ; Jodoin, 2000 ; Riipinen, 1997 ; Weiner, Muczyc, et Gable, 1987). Ainsi, le fait de connaître et de comprendre les mécanismes qui sous-tendent l’engagement de l’être humain permettrait d’intervenir plus aisément pour favoriser des niveaux d’engagement optimaux chez les individus et, par le fait même, augmenter la probabilité qu’ils atteignent des niveaux de bien-être plus élevés.

Afin d’étudier adéquatement le phénomène de l’engagement, il apparaît primordial de tenter de préciser clairement, de façon conceptuelle et opérationnelle, la structure psychologique qui lui est sous-jacente, c’est-à-dire les dimensions affectives, cognitives, comportementales et/ou motivationnelles qui le composent. Bien que certaines avancées aient été faites à cet égard dans les dernières décennies (Adams et Jones, 1997 ; Brickman, 1987 ; Dubé et al., 1997 ; Fredricks, Blumenfeld, et Paris, 2004 ; Jodoin, 2000 ; Novacek et Lazarus, 1990 ; Rusbult et Farrell, 1983 ; Rusbult, Martz, et Agnew 1998), le concept d’engagement demande encore à être clarifié.

2 – De la difficulté de définir l’engagement

À l’heure actuelle, il semble que l’étude rigoureuse des mécanismes psychologiques associés à l’engagement soit compromise par une nette absence de consensus dans la littérature scientifique quant à une définition opérationnelle de ce construit et des différentes composantes qui le constituent. Outre le simple fait que l’engagement soit un concept dont la complexité est reconnue (Burke et Reitzes, 1991 ; Dubé et al., 1997 ; Jodoin, 2000 ; Novacek et Lazarus, 1990), nous croyons que deux raisons majeures peuvent être à l’origine de cette confusion définitionnelle : d’une part, le fait que l’on considère qu’il existe plusieurs façons de s’engager (types d’engagement), et d’autre part, le fait que le concept d’engagement soit étudié de façon isolée en fonction de différentes sphères de la vie dans lesquelles l’on s’investit (domaines possibles d’engagement).

2.1 – Différents types d’engagement

Certaines distinctions ont déjà été faites dans la littérature entre plusieurs types d’engagement, impliquant chacun des mécanismes psychologiques différents. Par exemple, certains auteurs ont par le passé valorisé une approche liée aux théories de la dissonance cognitive selon laquelle l’engagement consiste en une persistance comportementale associée à une nécessité ressentie par l’individu d’être ou de paraître cohérent avec ses croyances et ses choix passés (Becker, 1960 ; Kiesler, 1971). Des auteurs plus contemporains valorisent pour leur part une approche affective selon laquelle l’engagement est avant tout l’expression d’un intérêt ou d’une attirance marquée envers une activité, une personne ou un quelconque objet social (Antonovsky, 1987 ; Csikszentmihalyi, 1990 ; Kobasa, 1982).

Récupérant partiellement ces idées, certains auteurs ont soulevé des distinctions entre d’autres sous-types d’engagement, soit l’engagement personnel, découlant des attirances et des choix propres de l’individu et généralement associé à une grande satisfaction ; l’engagement moral (ou social), qui découle des valeurs morales ainsi que du sens du devoir et des responsabilités de l’individu ; finalement, l’engagement structurel, qui relève du sentiment de contrainte et d’obligation de persister à cause des coûts ou des conséquences anticipées s’il y a interruption de l’engagement (Adams et Jones, 1997 ; Johnson, 1973).

Un autre type d’engagement proposé par certains auteurs est l’engagement identitaire (Burke et Reitzes, 1991). Cette dernière approche réfère à l’ensemble des forces qui permettent à l’individu de choisir des interactions avec son environnement qui reflètent fidèlement son identité, et cela dans toutes les sphères majeures de sa vie. Ce type d’engagement permettrait de maintenir un sentiment de cohérence élevé entre qui l’individu considère être (son identité) et sa façon d’agir dans son fonctionnement quotidien.

Dans un autre ordre d’idées, certains auteurs mettent en lumière l’importance de définir l’engagement de type excessif, caractérisé par une tendance à se surinvestir compulsivement dans un domaine quelconque d’activité. Ce type d’engagement mettrait en péril l’équilibre de fonctionnement global de l’individu (Brault-Labbé et Dubé, 2008 ; Jodoin, 2000 ; Vallerand et al., 2003 ; Weiner et al., 1987) et, en ce sens, devrait être différencié de l’engagement personnel associé au bien-être.

2.2 – L’étude isolée de l’engagement dans différentes sphères d’activités

Un second motif pouvant expliquer la variété des conceptualisations existantes de l’engagement dans la littérature scientifique réside dans le fait que le construit d’engagement est souvent étudié de façon isolée dans des sphères spécifiques de l’activité humaine. Par exemple, plusieurs définitions ont notamment été proposées pour l’engagement relationnel (Adams et Jones, 1997 ; Agnew, Van Lange, Rusbult, et Langston, 1998 ; Finkel, Rusbult, Kumashiro, et Hannon, 2002 ; Lund, 1985 ; Rusbult et al., 1998 ; Sprecher, 1999 ; Wieselquist, Rusbult, Foster, et Agnew, 1999), pour l’engagement professionnel (Blau, Allison et St-John, 1993 ; Brown, 1996 ; Jodoin, 2000 ; Kobasa, 1982 ; Lodahl et Kejner, 1965 ; Mathieu et Zajac, 1990 ; Mayer et Schoorman, 1998 ; Meyer et Allen, 1991 ; Mowday, Steers, et Porter, 1979 ; Riipinen, 1997 ; Rusbult et Farrell, 1983 ; Wiener et al., 1987) ainsi que pour l’engagement académique (Astin, 1999 ; Fredricks et al., 2004 ; Kluger et Koslowsky, 1988 ; Pirot et De Ketele, 2000 ; Willis, 1993). En psychologie de la motivation, d’autres auteurs se sont intéressés de façon plus générale à l’engagement envers des buts personnels (Hollenbeck, Williams, et Klein, 1989 ; Klein, Wesson, Hollenbeck, et Alge, 1999 ; Klein et Wright, 1994 ; Tubbs, 1993).

Or, même au sein de chacun de ces domaines respectifs de l’étude de l’engagement, il y a absence de consensus définitionnel. À cet effet, Adams et Jones (1997) soulignent par exemple qu’au sein même des études s’intéressant à l’engagement dans la vie de couple, l’absence de consensus pour la définition et la mesure de l’engagement pose un problème majeur quant à la validité du construit étudié et quant à la possibilité de comparer les diverses études entre elles. Dans le domaine professionnel, Meyer et Allen (1991) soulignent également ce problème pour l’étude de l’engagement organisationnel, et Brown (1996) fait de même pour l’étude de l’engagement au travail. Enfin, Fredricks et al. (2004) mettent en évidence cette lacune conceptuelle dans une revue de littérature portant sur l’engagement académique.

Loin de prétendre que l’engagement ne comporte aucune spécificité selon qu’il concerne le travail, les études, une relation amoureuse ou tout autre objet important d’investissement, nous croyons qu’il devient néanmoins primordial de tenter d’identifier et de conceptualiser les mécanismes psychologiques communs à l’ensemble de ces engagements dans différents domaines, dans le but de développer une compréhension unifiée, intégrée et parcimonieuse du processus par lequel le fait de s’engager peut être favorable au fonctionnement humain.

3 – Vers une vision intégrative du processus d’engagement

Il existe un très grand nombre de définitions de l’engagement ayant été proposées par divers auteurs. Lorsque que l’on effectue une analyse comparative de ces définitions, l’on remarque cependant que la plupart des auteurs considèrent l’engagement comme un concept comportant plusieurs dimensions et que les différences se situent surtout au niveau du nombre et de la combinaison des composantes impliquées dans le processus auquel il est associé.

Ainsi, si les définitions et les mesures de l’engagement varient considérablement dans la littérature, certaines composantes définitionnelles sont malgré tout proposées de façon récurrente par plusieurs chercheurs. Au cours des vingt dernières années, parmi les composantes souvent incluses dans les différentes définitions de l’engagement, l’on retrouve notamment : a) au niveau cognitif, l’intention de persistance de l’individu (Adams et Jones, 1997 ; Agnew et al., 1998 ; Blau et al., 1993 ; Brunstein, 1993 ; Finkel et al., 2002 ; Kluger et Koslowsky, 1988 ; Lund, 1985 ; Mayer et Schoorman, 1998 ; Wiener et al., 1987 ; Wieselquist et al., 1999) et l’évaluation des alternatives ou des coûts/bénéfices reliés à l’engagement (Adams et Jones, 1997 ; Burke et Reitzes, 1991 ; Kluger et Koslowsky, 1988 ; Lund, 1985 ; Meyer et Allen, 1991 ; Wiener et al., 1987 ; Wieselquist et al., 1999) ; b) au niveau affectif, la valeur subjective ou l’intérêt accordés à l’objet d’engagement (Adams et Jones, 1997 ; Blau et al., 1993 ; Burke et Reitzes, 1991 ; Csikszentmihalyi, 1990 ; Kobasa, 1982 ; Lund, 1985 ; Mayer et Schoorman, 1998 ; Novacek et Lazarus, 1990 ; Riipinen, 1997 ; Rusbult et Farrell, 1983 ; Willis, 1993) ainsi que l’attachement ressenti envers l’objet d’engagement (Agnew et al., 1998 ; Finkel et al., 2002 ; Kluger et Koslowsky, 1988 ; Meyer et Allen, 1991 ; Rusbult et al., 1998) ; c) au niveau comportemental, l’on retrouve fréquemment les manifestations observables d’investissement à l’égard de l’objet d’engagement (Astin, 1999 ; Brunstein, 1993 ; Kluger et Koslowsky, 1998 ; Kobasa, 1982 ; Lund, 1985 ; Novacek et Lazarus, 1990 ; Riipinen, 1997 ; Rusbult et Farrell, 1983 ; Wieselquist et al., 1999 ; Willis, 1993) ; enfin, d) dans une perspective motivationnelle, l’on propose la vigueur ou l’énergie comme caractéristiques essentielles à l’engagement (Astin, 1999 ; Kobasa, 1982 ; Novacek et Lazarus, 1990 ; Pirot et De Ketele, 2000).

3.1 – Élaboration d’un modèle intégratif

Dans le but d’arriver à une conceptualisation potentiellement applicable à tout domaine d’engagement, une série d’études menées par Dubé et ses collègues (Dubé et al., 1997 ; Jodoin, 2000) a permis de proposer un modèle tridimensionnel du processus d’engagement. L’un des objectifs de ce modèle était d’intégrer les différentes composantes suggérées antérieurement par divers théoriciens et de proposer qu’il n’existe pas plusieurs, mais un seul type d’engagement, défini par certaines composantes spécifiques. Dans ce modèle, l’engagement est défini comme l’interaction dynamique de trois éléments, les forces affective, comportementale et cognitive, qui font qu’une personne initie, puis maintient une ligne d’action ou de pensée envers un objet social important et valorisé. La force affective, l’enthousiasme, est considérée comme étant souvent responsable du déclenchement du processus d’engagement et correspond au plaisir, à l’intérêt personnel ou à l’attirance ressentie par l’individu à l’égard de l’objet d’engagement. En second lieu, la force comportementale, la persévérance, est considérée comme favorisant pour sa part la poursuite des actions et des efforts que nécessite l’engagement en dépit des obstacles rencontrés. Enfin, la force cognitive correspond à la capacité de réconcilier les éléments positifs et négatifs associés au fait de s’engager. Cette dernière composante réfère plus spécifiquement à la capacité de comprendre et d’accepter que l’engagement implique toujours certains aspects difficiles auxquels il est nécessaire de faire face pour pouvoir profiter des avantages qu’il comporte. D’ailleurs, ce serait spécifiquement lorsque survient l’adversité que l’engagement serait véritablement mis à l’épreuve (Brickman, 1987 ; Lydon et Zanna, 1990).

L’intérêt particulier de la formulation théorique de ce modèle réside dans le fait qu’en plus de pouvoir s’appliquer à tout objet d’engagement, elle rend compte du caractère dynamique – c’est-à-dire évolutif et cyclique – de l’engagement humain. En effet, le modèle stipule que les trois composantes ne sont pas toujours activées au même moment et qu’elles ne sont pas toujours présentes avec la même intensité dans l’engagement de l’individu. Une telle optique permet de considérer les variations du niveau d’engagement d’une personne envers un objet social comme faisant partie d’un même processus. Par exemple, le modèle peut rendre compte du fait qu’un individu ait déjà été très enthousiaste à l’égard de l’objet de son engagement mais que, à un certain point dans le temps, ce soit avant tout sa persévérance comportementale qui le maintienne engagé alors que son enthousiasme a diminué.

Ainsi peuvent être intégrées les visions respectives des traditions cognitive, comportementale et affective de l’étude de l’engagement présentées plus tôt, intégration aussi préconisée par Brickman (1987), dont les postulats théoriques ont fortement inspiré le modèle de Dubé et ses collaborateurs.

3.2 – Et l’aspect motivationnel proposé par certains auteurs ?

La section qui précède permet d’indiquer en quoi le modèle de Dubé et ses collègues, par la conceptualisation et l’opérationnalisation qu’il propose, peut contribuer à l’avancement de l’étude de l’engagement en tant que phénomène multidimensionnel du fonctionnement humain. Par ailleurs, l’on remarque que bien qu’il réfère à une force permettant à l’individu d’avoir l’élan nécessaire pour entamer et mettre en action son engagement, soit l’enthousiasme (intérêt, attirance) ressenti envers un objet social valorisé, ce modèle n’inclut pas d’aspect explicitement motivationnel, à savoir la mobilisation de l’énergie nécessaire pour atteindre certains buts et satisfaire certains besoins.

Or, l’inclusion de cet aspect motivationnel dans le modèle pourrait s’avérer utile à la psychologie de la motivation qui, comme les autres domaines de la psychologie, utilise fréquemment le construit d’engagement (voir, par exemple, Brunstein, 1993 ; Brunstein, Schultheiss, et Grässmann, 1998 ; Hollenbeck et al., 1989 ; Klein et al., 1999 ; Klein et Wright, 1994 ; Tubbs, 1993, 1994) sans que celui-ci ne soit toutefois défini clairement de façon conceptuelle et opérationnelle. C’est le cas de la théorie de Emmons (1986, 1991), qui considère que les motivations personnelles (personal strivings) permettent d’identifier les engagements d’une personne ; la théorie des buts personnels (personal goals) stipule pour sa part que l’engagement de l’individu envers des buts qui sont congruents avec ses besoins est associé à un bien-être élevé (Brunstein et Gollwitzer, 1996 ; Brunstein et al., 1998) ; la théorie de McClelland (1985) souligne que le bien-être devrait découler de l’engagement d’une personne dans des projets et activités qui offrent la possibilité de satisfaire ses besoins ; l’engagement est aussi mentionné dans diverses formulations de la théorie de l’autodétermination (Deci et Ryan, 2000 ; Ryan et Deci, 2000), qui s’intéresse aux types de régulation plus ou moins autodéterminés de la motivation que peuvent adopter les individus alors qu’ils s’engagent dans la poursuite de buts personnels, de façon à répondre à leurs besoins psychologiques. Ainsi, bien qu’ils n’en fassent pas nécessairement une cible principale d’investigation, plusieurs auteurs sont d’accord pour affirmer que l’étude du construit d’engagement, de ses antécédents et de ses conséquences est essentielle à une meilleure compréhension de différents processus motivationnels humains (Klein et al., 1999 ; Klein et Wright, 1994 ; Novacek et Lazarus, 1990 ; Tubbs, 1994).

À la lumière de ce constat, il devenait pertinent de considérer l’ajout d’une composante explicitement motivationnelle aux composantes affective, cognitive et comportementale déjà proposées dans le modèle de Dubé et ses collègues (Dubé et al.,1997 ; Jodoin, 2000). C’est dans cette optique qu’une série d’études a été réalisée au cours des dernières années par Brault-Labbé et Dubé (2008).

Cette tentative d’ajouter une dimension motivationnelle au modèle existant s’est effectuée sur la base de postulats théoriques proposés par Novacek et Lazarus (1990), qui considèrent que l’engagement constitue probablement le construit le plus utile pour étudier les valeurs et les buts personnels des individus. Pour ces auteurs, la motivation est nécessaire à l’engagement et en assure généralement le déclenchement (comme l’enthousiasme dans le modèle de Dubé et ses collègues). Bien que Novacek et Lazarus (1990) se soient surtout penchés sur les contenus possibles des engagements des individus (domaines d’engagement), sans proposer une conceptualisation opérationnelle du construit d’engagement en tant que tel, leur définition du concept de motivation semblait utile pour clarifier le modèle de Dubé et ses collègues.

Novacek et Lazarus (1990) définissent en effet la motivation comme une variable comportant deux volets : il s’agit, d’une part, d’une variable dispositionnelle (affective), à travers laquelle s’incarnent les valeurs et les intérêts de l’individu, et elle constitue dans un deuxième temps une variable transactionnelle (activatrice), responsable de la mobilisation de l’énergie nécessaire pour atteindre les buts personnels associés à ces valeurs et à ces intérêts. Si l’on met en parallèle la définition de la motivation tirée des travaux de Novacek et Lazarus avec la conceptualisation de l’engagement proposée par Dubé et ses collègues, l’on constate que cette dernière inclut l’aspect dispositionnel (affectif) de la motivation – soit la valeur affective accordée à l’objet d’engagement – sans toutefois prendre distinctement en compte son aspect transactionnel (activateur), qui correspond au niveau d’énergie disponible pour la poursuite des comportements associés à l’engagement.

3.3 – Ajout du volet activateur au modèle d’engagement

Dans le cadre d’une recherche portant sur l’engagement académique chez des étudiants de niveau universitaire (N = 266) ainsi que d’une recherche menée auprès d’étudiants au collégial (N = 296), Brault-Labbé et Dubé (2008) ont tenté d’introduire le volet activateur (transactionnel) de la motivation dans le modèle de l’engagement de Dubé et al. (1997). Ainsi, dans l’Échelle d’Engagement Académique (ÉEA) que les auteurs ont développée, en plus des items visant à mesurer les dimensions affective, cognitive et comportementale incluses dans le modèle initial, des items ont été créés afin de mesurer également l’énergie, la force, la vigueur ressenties par les étudiants dans la poursuite de leurs études. Dans le cadre de ces deux recherches, les nouveaux énoncés ont été inclus dans des analyses factorielles exploratoires avec ceux de l’échelle initiale, de façon à voir comment ils allaient s’associer aux énoncés mesurant les trois composantes du modèle de Dubé et ses collègues. Dans les deux cas, les solutions obtenues correspondaient systématiquement à une structure à trois facteurs (kmo = .89 à .93), dans laquelle les nouveaux items mesurant le volet activateur de la motivation se regroupaient sur un seul facteur avec ceux de la composante affective du modèle initial. Ce facteur était clairement distinct des composantes cognitive et comportementale du modèle, tout en y étant fortement relié. Il a conservé l’appellation d’enthousiasme, mais il allait désormais être considéré comme une composante motivationnelle plutôt que simplement affective de l’engagement, et ceci conformément à la définition de la motivation proposée par Novacek et Lazarus (1990).

La version finale de l’ÉEA (présentée en annexe de l’article) a également été validée par analyse factorielle confirmatoire, avec les données issue de l’étude menée auprès d’étudiants collégiaux. Cette analyse a été conduite au moyen du logiciel amos 4.0, avec méthode d’estimation par maximum de vraisemblance (maximum likelihood)[1][1]Une telle analyse allait permettre de vérifier dans quelle…. Plusieurs indices d’adéquation du modèle sont calculés par le logiciel, dont le NFI (normed fit index) rapporté ici. Pour cet indice dont la valeur oscille entre 0 et 1, la règle d’or stipule que des valeurs supérieures ou égales à .95 indiquent une bonne adéquation du modèle (Kaplan, 2000 ; Tabachnick et Fidell, 2001). Dans l’analyse ici concernée, les données s’harmonisaient de façon plus que satisfaisante au modèle théorique si l’on se fie à cet indicateur (?2 = 181,42, df = 74, p < .001, nfi = .99). Les estimés standardisés des paramètres, tous significatifs à p < .001, sont présentés dans la figure 1. Les corrélations entre les trois composantes de l’engagement oscillaient entre r = .61, p < .001 et r = .64, p < .001. Les coefficients de consistance interne (alpha de Cronbach) étaient de .92 pour l’échelle globale d’engagement académique, de .90 pour la composante motivationnelle (6 items), de .74 pour la composante cognitive (4 items) et de .86 pour la composante comportementale (4 items).

En somme, l’inclusion d’items mesurant l’énergie disponible pour la poursuite des comportements associés à l’engagement, aspect jugé important dans l’approche de Novacek et Lazarus (1990), a permis de clarifier la nature motivationnelle de la composante initialement dite «affective» du modèle de Dubé et ses collègues. Sans apporter de modification majeure au modèle, l’ajout d’items mesurant l’aspect activateur de la motivation dans l’ÉEA rend le modèle plus intégratif quant aux définitions de l’engagement proposées par divers auteurs. Cet ajout rend également le modèle plus précis et cohérent d’un point de vue théorique et empirique, particulièrement si l’engagement doit être étudié en lien avec des variables motivationnelles.

figure im1

3.4 – Applications du modèle

Dans sa version initiale, le modèle de Dubé et ses collaborateurs, à l’instar de celui de Brickman (1987), considérait l’engagement comme une disposition personnelle, une capacité globale à s’engager dans la vie, concept qui réunit trois dispositions personnelles relativement stables permettant d’expliquer au moins en partie les différences existant dans l’intensité et le nombre d’engagement des individus. Un fort potentiel d’engagement est ainsi décrit comme la combinaison (1) d’une grande capacité d’enthousiasme devant plusieurs choses de la vie, (2) d’une grande capacité de persévérance en dépit des obstacles rencontrés dans la vie et (3) d’une grande capacité de réconcilier le positif et le négatif des choses de la vie (Dubé et al., 1997).

Toutefois, l’un des objectifs inhérent au développement du modèle de Dubé et ses collègues était de pouvoir l’appliquer à plusieurs domaines d’engagement. Ainsi, en plus des études ayant permis d’appliquer le modèle à l’engagement académique (Brault-Labbé, 2006 ; Brault-Labbé et Dubé, 2008), des études empiriques l’ont également utilisé afin de développer une mesure de l’engagement au travail (Jodoin 2000) et une étude via Internet a permis d’amorcer l’élaboration d’une mesure de l’engagement relationnel dans la vie de couple (Brault-Labbé et al., 2005). Pour chacun de ces domaines d’engagement, des analyses factorielles exploratoires ont permis de valider la structure tridimensionnelle du modèle, avec obtention de solutions simples à trois facteurs distincts mais reliés entre eux. Les coefficients de consistance interne (? de Cronbach) pour les échelles développées oscillaient entre .77 et .90. Dans chacun des cas, l’engagement avait une forte valeur prédictive à l’égard d’indicateurs positifs du bien-être tels que le sens donné à la vie, la satisfaction de vie, le bonheur et la fréquence d’affects positifs (b = .38 à .66, p < .001).

En plus de s’intéresser à mieux comprendre les mécanismes psychologiques qui favorisent le bien-être personnel à travers le processus d’engagement, le modèle de Dubé et ses collègues ouvre également la voie à l’étude des déséquilibres possibles dans les engagements des individus, tels que le surengagement (engagement excessif) et le sous-engagement (engagement déficitaire). En effet, dans leurs études portant sur le lien entre l’engagement et le bien-être, Dubé et al. (1997) avaient observé une corrélation positive continue entre le niveau d’engagement et le niveau de bien-être : même un niveau extrêmement élevé d’engagement était corrélé à un niveau élevé de bien-être. Comme il semblait qu’intuitivement, un niveau trop élevé d’engagement, soit un surengagement, devrait provoquer des effets négatifs, Jodoin (2000) a émis l’hypothèse que l’engagement intense et le surengagement représenteraient deux formes distinctes d’implication et qu’il serait possible de les différencier empiriquement. Dans des études portant sur l’engagement intense et le surengagement au travail chez des médecins spécialistes et des administrateurs oeuvrant dans le monde de l’éducation, cet auteur est arrivé à la conclusion que ces deux construits sont qualitativement différents, avec des composantes et des conséquences distinctes.

Dans ces études, le surengagement au travail est défini et mesuré comme (1) un intérêt prépondérant pour le travail ; (2) la négligence de sa vie personnelle à cause de son travail ; et (3) une persistance compulsive dans les tâches reliées au travail, tandis que l’engagement intense est défini comme (1) un fort enthousiasme vis-à-vis du travail ; (2) une pleine acceptation des aspects négatifs du travail ; et (3) une grande persévérance dans les tâche reliées au travail en dépit des obstacles rencontrés. Les résultats de ces études démontrent que, chez des médecins spécialistes et des administrateurs dans le monde de l’éducation, l’engagement au travail est positivement relié au bien-être personnel, même lorsqu’il est très intense, alors que le surengagement lui est négativement associé (Jodoin 2000).

S’inspirant du modèle théorique et des mesures empiriques de Jodoin (2000), le modèle d’engagement académique incluant le volet activateur de Brault-Labbé et Dubé (accepté) a été utilisé afin de développer une échelle de surengagement académique (? = .61 à .85 pour l’échelle globale et ses composantes), soumise avec succès à une analyse factorielle exploratoire (kmo = .88) (Brault-Labbé et Dubé, 2008). De plus, une mesure de sous-engagement académique a également été développée et validée dans ce cadre de recherche (kmo = .94). Ce dernier concept se caractérise par (1) un manque d’énergie pour les activités académiques, (2) un manque d’intérêt pour le domaine d’étude, et (3) un état d’envahissement face aux aspects négatifs de la vie académique (? = .84 à .94 pour l’échelle globale et ses composantes). Et contrairement à l’engagement académique, le surengagement et le sous-engagement académiques s’avèrent être négativement associés au bien-être personnel, avec des spécificités qui leur sont propres (Brault-Labbé et Dubé, 2008).

4 – L’utilité d’étudier l’engagement psychologique : quelques pistes de réflexion

Tel que tout juste évoqué, l’approche théorique et empirique qui sous-tend le modèle de l’engagement de Dubé et ses collègues offre un certain potentiel pour aborder sous un angle nouveau des modes de fonctionnement qui nuisent à l’individu et qui peuvent être associées, d’une part, à des excès d’engagement comme, par exemple, des comportements compulsifs ou des dépendances à l’égard de certains objets sociaux et, d’autre part, à des phénomènes psychosociaux inhérents à une déficience dans l’engagement comme, par exemple, au travail, dans les études ou les relations amoureuses.

De façon plus globale, le modèle de l’engagement développé par Dubé et ses collègues ouvre la voie à mieux comprendre les mécanismes psychologiques multidimensionnels qui sont communs à plusieurs domaines d’engagement, dans une optique dynamique qui considère l’engagement comme un processus qui peut connaître des variations importantes au fil du temps. À cet égard, l’un des objectifs à cibler pour des recherches futures est d’utiliser ce modèle dans des devis de recherche longitudinaux qui permettraient de voir évoluer les dimensions motivationnelle, cognitive et comportementale dans l’engagement, le sous-engagement et le surengagement des individus. Les devis longitudinaux permettraient aussi d’initier l’étude du processus de désengagement tel que vécu, par exemple, dans l’abandon scolaire et les ruptures amoureuses.

De par son lien avec le bien-être personnel et le fonctionnement optimal, l’engagement est également un concept auquel il peut être particulièrement intéressant et pertinent de s’intéresser lorsque des populations reconnues pour leurs réussites et leurs succès sont sous étude, que ce soit par exemple dans les domaines scientifique, artistique, politique ou sportif (Csikszentmihalyi, 1996 ; Gardner, 1993). L’étude des facteurs qui influencent des niveaux optimaux d’engagement peut devenir d’une grande utilité si les connaissances qui en ressortent sont utilisées dans une optique préventive, afin de promouvoir le bien-être, par exemple, dans les milieux éducatifs ou les milieux de travail. À cet égard, l’étude de l’engagement s’inscrit fort bien dans le courant de la psychologie positive, qui a connu un essor important au cours des dernières années et qui s’intéresse aux facteurs qui favorisent le bien-être des individus et des sociétés (Diener, Suh, Lucas, et Smith, 1999 ; Dubé et Brault-Labbé, 2002 ; Lyubomirsky, 2001 ; Ryan et Deci, 2000 ; Seligman et Csikszentmihalyi, 2000 ; Sheldon et King, 2001).

En conclusion, la notion d’engagement et ses dérivés conceptuels (les processus d’engagement et de désengagement, les déséquilibres au niveau de l’engagement) constituent des éléments majeurs du fonctionnement humain. Chaque individu est appelé régulièrement à se questionner – parfois avec difficulté et confusion - sur ses engagements dans les sphères académique, professionnelle, relationnelle et personnelle de sa vie. Le modèle de l’engagement présenté ici a le potentiel de favoriser le développement d’outils utiles, non seulement pour les chercheurs et les intervenants dans différents domaines, mais également pour tout individu qui cherche à éclaircir ou à élargir ses réflexions personnelles relatives à ses interactions avec son environnement, que ce soit individuellement ou dans un cadre thérapeutique ou pédagogique."

 
 
Annexe

Échelle d’Engagement Académique (ÉEA)

Enthousiasme envers les études (composante motivationnelle : volets activateur et affectif)

Quand il est question de mes études, j’ai de l’énergie à revendre.
J’éprouve du plaisir dans les tâches quotidiennes de mes études.
En général, je me sens très dynamique dans mon environnement académique.
Lorsque je fais des activités reliées à mes études, je me sens plein de vigueur.
C’est facile pour moi de toujours découvrir de nouveaux aspects de mon champ d’étude qui m’intéressent.
Je suis enthousiaste vis-à-vis de mes études.

Persévérance dans les tâches académiques (composante comportementale)

Même quand mes études exigent beaucoup d’efforts, je n’abandonne pas avant d’avoir atteint le but visé.
Lorsque je suis débordé dans mes études, je continue à essayer de faire ce que je peux.
Malgré les difficultés que je rencontre, je suis persévérant dans mes études.
Lorsque je me sens débordé dans mes études, j’essaie de continuer sans diminuer mes critères de réussite.

Réconciliation des aspects positifs et négatifs de la vie académique (composante cognitive)

J’accepte le fait que des études comme les miennes impliquent des aspects positifs mais aussi des aspects négatifs.
Je suis parfaitement à l’aise avec le fait que des études comme les miennes puissant impliquer certaines difficultés.
Je crois que les avantages à retirer de mes études justifient très bien de faire face aux difficultés qu’elles impliquent.
J’assume pleinement la responsabilité des conséquences négatives de mon engagement dans mes études.
 
 
 

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