Emeutes sociales et urbaines

"Un soulèvement populaire généralement spontané et non organisé" Le Robert
"Une émeute est une manifestation populaire agitée, généralement spontanée et violente, par exemple avec des bagarres. Les personnes qui participent à des émeutes sont appelées des émeutiers. Wikipédia
Au sens originel une émeute désignait une émotion, liée à un événement considéré par une partie de la population comme interdit et révoltant.

logiques du sens de l’émeute :

L’analyse proposée par Lapeyronnie marque un triple déplacement par rapport à la littérature sociologique française existante et aux commentaires dominant les débats publics.

Premier déplacement : l’émeute n’est pas plus un « épiphénomène » qu’elle ne se réduit à un « signe » nous parlant d’autre chose, ou encore un « symptôme » (Beaud, Pialoux, 2003). Elle ne résulte pas seulement de phénomènes structurels qui en détermineraient les conditions de possibilité, parce que trop extérieurs aux diverses situations observées : affrontements avec la police ou entre groupes de jeunes, pillages, dégradations et destructions de biens matériels ou d’équipements collectifs (Lapeyronnie, 1993). L’émeute possède sa logique propre. C’est donc d’elle qu’il faut partir pour éclairer l’ordinaire de la vie sociale dans les cités dégradées, le climat de tensions qui y règne et les phénomènes qui l’alimentent, plutôt que l’inverse. De ce point de vue, l’analyse des logiques émeutières, tant en France qu’en Angleterre et aux États-Unis, conduit à dégager un certain nombre de constantes dans l’espace et le temps. À chaque fois, ce sont des incidents avec la police survenant dans un contexte de suspicion et de rancœur réciproques qui ont été l’élément déclencheur des émeutes (Monjardet, 1996). Si on considère la période des quarante dernières années, on constate un enchaînement identique des événements à travers un cycle émeutes/répression/promesses non tenues/frustrations relatives. Cette histoire, qui reste largement à écrire, constitue certes une sorte de mémoire identitaire des quartiers dont les traces restent vivantes et suscitent bien des rumeurs (Bachmann, Le Guennec, 1997). Cela explique, dans le même temps, que cette mémoire soit si peu visible en dehors de ce contexte urbain :la tendance à l’amnésie collective caractérise à bien des égards le rapport qu’entretient la société française dans son ensemble avec sa part d’ombre (la violence institutionnelle, le racisme, l’ethnicité…) que l’on ne cesse en conséquence de redécouvrir et reconnaître.

Deuxième déplacement : l’émeute est définie comme une forme d’action collective; mieux, elle appartient au répertoire « normal » de l’action politique. On a beaucoup dit et répété que les émeutiers n’avaient rien à dire, l’émeute apparaissant comme une sorte de film muet dont il incomberait aux observateurs et chercheurs d’en écrire la bande-son. Or, il convient de s’interroger sur le silence supposé des émeutiers, car la profusion des explications et des interprétations conduit à écraser ce qu’ils auraient à dire. Dans laperspective des travaux d’histoire sociale du XIXe siècle, Lapeyronnie définit l’émeute comme le fait des primitifs de la révolte (reprenant Eric Hobsbawn), c’est-à-dire de tous ceux qui n’ont pas d’autres moyens d’expression de leur révolte que les violences collectives. Or l’enjeu de ces dernières est clair : il s’inscrit dans un contexte de durcissement des rapports entre la police et les jeunes, et au-delà – on ne le dit pas assez – d’une partie de la population habitant les cités qui nourrit un fort ressentiment à l’égard des institutions de façon plus générale. Il s’agit bien dans cette perspective de considérer que la parole des émeutiers n’est pas vide mais, au contraire, pleine de sens.

D’où un troisième déplacement mettant l’accent sur la dimension morale de l’émeute. Bien que surgissant d’un problème de contrôle social qui ne date pas d’hier, cette hostilité entre la police et les mondes populaires a pris des formes nouvelles ces dernières années. Le racisme institutionnel de la police, les pratiques discriminatoires à l’encontre des jeunes « de couleur », la pression exercée sur les cités et ses habitants qui en rejettent le stigmate tout en ne cessant de s’y identifier, sont des faits assez documentés pour qu’on n’y revienne pas ici dans le détail. Du coup, si révolte il y a, elle ne se fait pas au nom d’une culture populaire mais d’une expérience négative du rapport à la police. Elle n’est pas le fait de nouvelles classes dangereuses mais de victimes du harcèlement policier. Elle ne met pas en jeu des forces socialesmais une révolte contre les forces de mort. Comme le dit l’auteur, la loi se change en oppression : un « cadre d’injustice » se substitue ainsi au « cadre dominant » et ouvre l’espace de l’action. Que l’émotion libère les potentialités d’action, on peut s’en convaincre dans les belles pages sur les manifestations et marches silencieuses. Ce qui est en jeu, ce sont ni plus ni moins une protestation morale et une demande de respect.

Si l’émeute peut donc être considérée comme action politique, celle-ci a peu à voir avec ses formes et règles conventionnelles. Ainsi n’y avait-il aucune volonté de la part des émeutiers de construire un espace de négociation. Elle n’en a pas moins été dénuée d’efficacité en obtenant une visibilité publique (faute de mieux) et des promesses diverses (relance des subventions aux associations, lutte contre le chômage et les discriminations, etc.). Telle est la rationalité instrumentale de l’émeute complétant sa rationalité émotive. En même temps, cette action présente des limites évidentes en ce que les émeutiers, âgés selon les données disponibles de 15 à 20 ans au plus, sont exclus du système politique et nourrissent à son égard une méfiance significative. Cette posture peut s’expliquer par les dépendances nombreuses et variées des habitants des cités à l’égard des systèmes institutionnels. D’où cette ambivalence d’un rapport au politique qui les voit osciller entre l’appel à la solidarité et à des valeurs morales et la rage contre cette société qui les exclut, un désir d’émancipation et une expérience victimaire..."

Michel Kokoreff Sociologie de l'émeute

 

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