Rhizome

"En 1976, Deleuze et Guattari publient aux éditions de Minuit un petit livre intitulé Rhizome... Moment décisif de leur collaboration, Deleuze et Guattari y théorisent en effet pour la première fois la nouvelle image de la pensée qu’ils mobilisent – une image nomadique de la pensée (nomadologie) – et la nouvelle pratique de la philosophie qu’ils mettent en œuvre – une philosophie des multiplicités.

L’intérêt que Deleuze et Guattari accordent au rhizome tient d’abord et avant tout à son opposition à la racine, à l’arbre. En effet, qu’elle soit pivotante ou fasciculée, la racine est un système végétal qui se développe le long d’un axe vertical et hiérarchique (couper une plante à la racine revient le plus souvent à la tuer)...

En revanche, le rhizome est un système végétal qui prolifère horizontalement, le plus souvent de manière souterraine, et qui est dépourvu de centre ou, ce qui revient au même, qui en a plusieurs. En ce sens, la racine constitue une image du fondement ou du principe hiérarchique (arkhè), tandis que, à l’inverse, le rhizome se présente comme une image du devenir ou du réseau, de toute multiplicité rebelle à la centralisation et à la hiérarchisation.

Il est vrai que, historiquement, la racine et l’arbre ont constitué un puissant modèle pour le déploiement de la pensée philosophique. Dans l’histoire de la philosophie, il n’y a pas de meilleur exemple que l’importance de l’arbre de Porphyre, qui modélise la logique du genre et de la différence spécifique qu’Aristote avait élaborée dans l’Organon. On sait en effet que cette logique irriguera toute la scolastique médiévale (la querelle des universaux, par exemple, est une longue discussion avec Aristote), animera la pensée classificatoire de l’âge classique (que l’on songe aux taxonomies de Linné), puis innervera encore les schémas évolutionnistes de l’épistémè moderne (l’évolution comprise comme processus arborescent de différenciation). On ne s’étonnera donc pas du manque de dignité philosophique du rhizome, de sa situation minoritaire. Pour Deleuze et Guattari, c’est précisément la contrepartie de l’importance exagérée que l’Occident a prêtée à l’arbre.

"C’est curieux comme l’arbre a dominé la réalité occidentale et toute la pensée occidentale, de la botanique à la biologie, l’anatomie, mais aussi la gnoséologie, la théologie, l’ontologie, toute la philosophie… : le fondement-racine, Grund, roots et fundations."

Mais la question initiale n’en revient pas moins : en quoi l’opposition de l’arbre et du rhizome est-elle autre chose qu’une métaphore pour l’image de la pensée, voire pour l’organisation politique ? Comment lui donner la valeur d’une opposition conceptuelle, lui donner la généralité ou la transversalité d’un schème directeur de la pensée et de l’action ? Pour y répondre, il est d’abord nécessaire de restituer le rôle que jouent chez Deleuze et Guattari les références aux travaux mathématiques de Petitot et Rosenstiehl et aux hypothèses anthropologiques d’Haudricourt.[...]

"On écrit l’Histoire, mais on l’a toujours écrite du point de vue des sédentaires, et au nom d’un appareil unitaire d’État, au moins possible, même quand on parlait de nomades. Ce qui manque, c’est une Nomadologie, le contraire d’une Histoire" 

[...] Avec la conception des systèmes rhizomatiques et l’idée de nomadologie, pensée et politique sont désormais devenues indiscernables."

Igor Krtolica Le rhizome deleuzo-guattarien « Entre » philosophie, science, histoire et anthropologie

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