Education populaire
"L’éducation populaire n’a rien perdu de son héritage fondateur : celui d’une société inclusive qui garantit à chacune et chacun l’exercice d’une citoyenneté pleine et entière dans la République..."
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"C’est au XVIIIème siècle, à l’époque des Lumières que l’on fait communément remonter l’origine de l’idée d’une « éducation populaire ». Dans un contexte de lutte contre l’obscurantisme et l’emprise de l’Église catholique en France, se diffuse l’idée de la nécessité d’une éducation de toutes et tous, et, en l’occurrence, du peuple, par le peuple, pour le peuple. Ce sont les prémices de l’idée d’éducation d’action directe....
En 1792, en pleine révolution, Condorcet remet à l’Assemblée législative un Rapport sur l’instruction publique dans lequel on peut lire : « Tant qu’il y aura des hommes qui n’obéiront pas à leur raison seule, qui recevront leurs opinions d’une opinion étrangère, en vain toutes les chaînes auraient été brisées, en vain des opinions de commandes seraient d’utiles vérités. Le genre humain n’en resterait pas moins partagé entre deux classes : celle des hommes qui raisonnent, et celle des hommes qui croient. Celle des maîtres et celle des esclaves ».
Si la Révolution française n’a pas abouti à une émancipation des exploités, se limitant à substituer au pouvoir de l’aristocratie celui de la bourgeoisie capitaliste, elle a néanmoins permis le brassage d’un grand nombre d’idées émancipatrices, dont celles défendues par Condorcet.
Elles vont faire leur chemin.
Au XIXème siècle, marqué en France par les révolutions de 1830, 1848 et 1871, naissent trois courant qui pratiquent, chacun à leur façon, une forme d’éducation populaire : un courant laïc républicain, un courant chrétien social, et un courant ouvrier et révolutionnaire.
Contre l’obscurantisme :
Le courant laïc républicain
À la suite de Condorcet, le courant laïc républicain estime qu’il faut faire reculer l’obscurantisme entretenu par l’Église pour établir solidement une République. Se créent alors les grandes associations laïques qui visent à développer l’éducation pluridisciplinaire des adultes pour créer les conditions du progrès social.
Ainsi, au lendemain de 1830, est fondée l’association polytechnique, dont l’un des animateurs est Auguste Comte, le philosophe du « positivisme ». En 1848, c’est la création de l’association philotechnique. En 1866, la célèbre Ligue de l’enseignement, créée par Jean Macé, journaliste républicain et auteur d’ouvrages de vulgarisation scientifique.
En 1868, alors que le Second Empire s’adoucit, une loi autorise les réunions publiques, dès lors qu’elles ne traitent ni de politique ni de religion. Évidemment, cet interdit est vite contourné, et l’on voit se multiplier les espaces permettant au peuple de s’instruire et même d’aborder les questions sociales. Ces réunions publiques de l’Empire finissant sont de réels lieux d’éducation populaire, déterminants dans la formation politique et la diffusion des idées de celles et ceux qui deviendront des Communards.
En 1871, la Commune de Paris décrète certaines réformes, parmi lesquelles l’enseignement laïc et gratuit, ainsi que l’enseignement professionnel assuré par les travailleurs eux-mêmes.
Dix ans plus tard, Jules Ferry créera l’école républicaine pour soustraire les enfants à l’influence des religieux certes, mais également pour empêcher le mouvement ouvrier d’éduquer ses enfants, comme il l’avait fait en 1871…
Contre la misère :
Le courant chrétien social
Le christianisme sociale est un mouvement interclassiste qui réunit fils de notables et jeunes ouvriers et paysans, et qui se structure autour de la lutte contre la misère et la pauvreté. Il a parfois, notamment sur son versant protestant, rejoint le courant laïc sur sa vision de l’éducation.
Sur son versant catholique, le journal Le Sillon, fondé en 1894 par Marc Sangnier, devient dans les années 1900 l’organe d’un vaste mouvement qui prend une tournure hétérodoxe vis-à-vis de la doctrine de l’Église (contre l’exploitation des femmes, etc.). Il sera finalement condamné par le pape Pie X pour « modernisme », et s’autodissoudra en 1910.
Par ailleurs, la JOC (Jeunesse Ouvrière Chrétienne) et la JAC (Jeunesse Agricole Chrétienne), fondées en 1925, jouent un rôle important de conscientisation social de la jeunesse, notamment dans les zones rurales. Ces mouvements connaissent leur âge d’or dans les années 1960, avant d’entrer en déclin. La JOC est encore active aujourd’hui, sur des bases plutôt progressistes. La JAC quant à elle a donné naissance au MRJC.
Sur ce mouvement chrétien social, lire l’excellente contribution de Paul Masson, que je reproduis ici.
Contre le capitalisme :
Le courant ouvrier et révolutionnaire
Le mouvement ouvrier français trouve son origine dans les amicales, mutuelles et coopératives créées dans les années 1810-1820, pour contourner l’interdiction des syndicats par la loi Le Chapelier en 1791.
Après que la répression de la Commune lui a brisé les reins, le mouvement ouvrier reprend véritablement son essor dans les années 1880 et devient une « puissance » qui compte.
Les révolutionnaires se méfient de l’école de la bourgeoisie édifiée par Jules Ferry avec les lois de 1881-1882, et cherchent à préserver une culture et des valeurs propres à la classe ouvrière. Dans les années 1890, les Bourses du travail, créées par les municipalités pour réguler le marché de l’emploi, sont subverties par les syndicalistes révolutionnaires qui cherchent à les transformer en bases d’une contre-société prolétarienne, en les dotant de services d’entraide, de bibliothèques, de cours du soir où l’on étudie l’économie, la philosophie, l’histoire. L’éducation est alors conçue comme un prélude à la révolution : « Ce qui manque à l’ouvrier, c’est la science de son malheur », écrit l’anarchiste Fernand Pelloutier, élu secrétaire de la Fédération des bourses du travail en 1895.
L’institutionnalisation
et la tutelle de l’État
Dans les années 1920-1930, l' »éducation populaire » devient peu à peu un secteur d’activité à part entière.
De 1940 à 1944, le régime de Vichy veut mouler la jeunesse dans l’idéologie de la Révolution nationale dont la devise est « travail, famille, patrie ». Trois dispositifs seront créés pour cela : les chantiers de jeunesse, les écoles de cadres ou écoles de chefs, et les maisons des jeunes.
L’ordonnance du 2 octobre 1943 crée l’agrément « Jeunesse et éducation populaire ». Les associations qui l’obtiennent se placent de fait sous la tutelle de l’État, et peuvent obtenir des subventions. C’est le début d’une institutionnalisation qui sera reconduite après la Libération.
Sous Vichy, des associations d’éducation populaire ont d’ailleurs été fondées dans la clandestinité – les Francas et Peuple et Culture (dont le manifeste se propose de « rendre la culture au peuple et le peuple à la culture »), dès 1943 – et, à la Libération, ces jeunes résistants vont plaider pour le développement d’une éducation politique de masse conçue comme une pédagogie de la démocratie, de manière à prévenir les tentations totalitaires.
Cette ambition, cependant, fait long feu. En effet, si une Direction de l’éducation des adultes et de l’éducation populaire est mise en place au sein du gouvernement de 1944, elle est diluée en 1948 dans une Direction générale de la jeunesse et des sports, signe de la perte de son ambition politique.
La dérive vers l’animation socio-culturelle
En 1959, alors qu’est créé le ministère de la Culture sous la houlette du romancier gaulliste André Malraux, l’éducation populaire reste au sein de Jeunesse et sports : le nouveau ministère n’a pas pour mission l’émancipation du peuple, mais la création artistique et l’accès aux « œuvres capitales de l’humanité ». Ainsi, par exemple, la pratique du théâtre amateur dépend du ministère de la jeunesse, alors que le théâtre de « création » passe au ministère de la culture.
L’idée de pédagogie de la démocratie est abandonnée par les institutions. Elle se transforme en animation socio-culturelle, rattachée aux loisirs.
C’est dans cette période que le secteur de l’éducation populaire rentre dans un cercle vicieux.
Tout d’abord, ses militantes et militants obtiennent une reconnaissance de l’État, ce qui entraîne la création de droits et l’allocation de moyens. Ainsi, la création des Comités d’entreprises (1946), la loi sur le droit à la formation professionnelle continue (1971), la construction d’infrastructures comme les MJC, et le subventionnement d’associations pour les animer, etc.
Mais tout cela provoque une institutionnalisation et une très forte dépolitisation des actions menées. On doit être diplômé pour pouvoir être animateur ou animatrice ; les dirigeantes et dirigeants des structures s’éloignent socialement des premiers concernés, qu’ils considèrent désormais comme « leur public ».
Les tenants d’un courant militant tentent de résister. L’élan subversif et autogestionnaire de Mai 68 les y aide.
Le 25 mai 1968, les directeurs et directrices des Maisons de la culture publient la Déclaration de Villeurbanne, qui stipule : « Tout effort culturel ne pourra plus que nous apparaître vain aussi longtemps qu’il ne se proposera pas expressément d’être une entreprise de politisation : c’est à dire d’inventer sans relâche, à l’intention de ce non-public, des occasions de se politiser, de se choisir librement, par-delà le sentiment d’impuissance et d’absurdité que ne cesse de susciter en lui un système social où les hommes ne sont jamais en mesure d’inventer ensemble leur propre humanité »
Un petit retour de flamme
Après le reflux des luttes dans les années 1980, les années 1990 ouvrent l’ère de la technicisation du secteur de l’éducation populaire. Jusque-là, une ou un animateur faisait de tout, le but étant de créer du collectif et du politique. Désormais, ils et elles sont spécialisés sur une activité. Cela signifie que le moyen (que ce soit le sport, la pratique artistique, etc.) devient une fin en soi. Le politique est donc encore un peu plus oublié.
En 1998, Marie-George Buffet, ministre de la Jeunesse et des Sports, organise des « Rencontres pour l’avenir de l’éducation populaire » avec les actrices et acteurs du secteur. Des groupes de travail sont créés. Si tout cela reste sans effet sur les politiques d’État, cela a permis à quelques militantes et militants de se reconnaître dans ce projet d’éducation populaire qui était ringardisé depuis si longtemps.
De ces rencontres naîtront différentes choses, parmi lesquelles la SCOP Le Pavé. Crée en 2007, elle s’est auto-dissoute en 2014 face à la difficulté de faire face à la pression liée à l’enthousiasme qu’elle a suscité, notamment avec ses désormais fameuses Conférences gesticulées.
Mais le Pavé et les autres ont remis au goût du jour l’idée d’éducation populaire. Le mot a même tendance à devenir un mot-clef, à glisser impérativement dans son dossier de demande de subvention.
Ressuscitée, aussitôt aseptisée ? Ce qui est certain, c’est qu’un mot ne suffit pas à changer des pratiques associatives aujourd’hui prisonnières de leur modèle économique et du fonctionnement court-termiste et dépolitisé des financements par appels à projets.
Et aujourd’hui ?
Si l’éducation populaire existe, et si elle n’a jamais cessé d’exister, c’est dans ses multiples formes, et non dans sa confiscation par des associations se réclamant d’un label ministériel « Jeunesse et Éducation Populaire ».
Elle existe partout où on mène une action en faveur de la conscientisation, de l’émancipation, du développement de la puissance d’agir et de la transformation sociale : dans les syndicats, dans les structures éducatives qui mettent en œuvre des pédagogies alternatives, dans les entreprises qui fonctionnent en autogestion, dans le travail social quand il n’est pas conçu comme un travail de contrôle social, etc.