Rites de passage

Concept tiré " du livre d'Arnold Van Gennep, LES RITES DE PASSAGES. ETUDE SYSTEMATIQUE DES RITES De la porte et du seuil, De l'hospitalité, De l'adoption, De la grossesse et De l'accouchement, de la naissance, De l'enfance, de la puberté, De l'initiation, De l'ordination, Du couronnement, Des fiançailles, Du mariage, Des funérailles, Des saisons, etc... 
Paris : Librairie Stock, 1924,124 pp. Collection "La culture moderne"

"Partout explique-t-il, dans le monde ancien, primitif ou "semi-civilisé", les portes de villes, les bornes et limites de territoires avaient un caractère sacré : les franchir impliquait toutes sortes de précautions..."
Arnold Van Gennep 1873-1957 ethnologue et folkloriste français

"C'est sur ce motif spatial - celui du franchissement d'un seuil - que van Gennep construit l'image qui va lui permettre de comparer un très grand nombre de rites, habituellement considérés comme sans rapports les uns avec les autres : rites de fécondité, fêtes calendaires, cérémonies de mariage, baptêmes, circoncisions, rites de purification, cérémonies d'accès à une fonction, à une société guerrière ou religieuse, à un culte totémique ou ancestral, initiations chamaniques, etc.

Cette image consiste dans un schéma ternaire. Tout rite de passage, explique van Gennep, comporte trois temps : préliminaire, liminaire (c'est-à-dire « sur le seuil ») et postliminaire. D'un autre point de vue - celui de l'acteur -, on dira : séparation (de l'état ou du lieu antérieur), marge (entre deux), et agrégation (à un nouvel état). Tout le reste de son livre est une application de ce schéma à un très grand nombre d'exemples de rites pris sur les cinq continents et à l'histoire ancienne, ramené à la métaphore du franchissement d'un seuil.
Pour van Gennep, « chaque société générale peut être considérée comme une sorte de maison divisée en chambres et couloirs » : sortir d'un groupe ou entrer en contact avec un autre sont des actes ritualisés, ne serait-ce que par un geste de politesse...

Le genre de rite formant le coeur de la démonstration de van Gennep est celui qu'il appelle le changement d'état, et traite en cinq chapitres fournis sur les rites de grossesse, de naissance, d'initiation, de mariage et de mort. Quels que soient les objectifs particuliers du rite, explique van Gennep, la séquence ternaire est présente ou affleure...
Toutefois, la démonstration la plus satisfaisante que donne van Gennep est celle qui porte sur les rites dits de puberté, en Afrique, en Amérique et ailleurs. L'auteur entend bien montrer qu'il ne s'agit en rien de rites thérapeutiques ou magiques liés à la puberté, mais de cérémonies comparables aux rites initiatiques des sociétés secrètes et des confréries religieuses : le but du rite est de faire passer le novice de la société des enfants à celle des adultes...

En 1962, Max Gluckman, professeur à Manchester, fait une lecture critique de van Gennep et y ajoute une considération fonctionnelle : ce que n'a pas vu van Gennep, c'est que les rites de passage, comme tous les autres rites, ont vocation à résoudre des conflits, ou du moins des tensions inhérentes à toute organisation sociale fondée sur des groupes familiaux ou de statut...
Les gestes, communs à beaucoup de rites d'initiation (le bizutage en est un) sont significatifs de l'état liminaire : la condition de celui qui est hors statut, échappant aux catégories d'âge, de parenté, de rang...

Victor Turner, élève de Gluckman et lui aussi spécialiste de l'Afrique, poussera plus loin cette analyse. En 1969, il publie une série de conférences qui s'appuient sur sa connaissance détaillée des rites des Ndembu du Congo pour reprendre la question des rites de passage... Turner propose d'associer cette condition au concept de communitas : une communitas est une communauté homogène, égalitaire et fondée sur des liens interpersonnels, qu'on peut opposer au caractère structuré, différencié et inégalitaire de la société en temps ordinaires. D'autre part, dans les rites de passage, la plongée dans la communitas est souvent accompagnée de vexations...
Selon Turner, la fonction de ces inversions est claire : il s'agit de donner à voir le caractère construit et relatif des hiérarchies sociales. Tel est le sens qu'on peut donner à la phase liminaire des rites de passage : celle de mettre en évidence l'existence d'une structure sociale. Ainsi Turner en arrive-t-il à une interprétation beaucoup plus large de la dynamique sociale : toutes les sociétés seraient construites sur une opposition entre structure et antistructure. Elle s'exprime non seulement dans les rituels, mais dans des institutions (comme le bouffon), des mouvements sociaux (comme les hippies), des mouvements religieux (comme le monachisme de Saint-François ou le messianisme de Krishna), des figures comme celle du Bouddha, de Gandhi, de Tolstoï. Les rituels d'inversion ont une fonction qu'on dirait aujourd'hui ostensive : ils donnent à voir, et par là-même réaffirment les hiérarchies sociales...
... car, selon Turner, la structure a pour vocation « de réaliser et de préserver la communitas ». Une société en équilibre apparaît donc comme un mixte de communitas et de structure. Ceux qui occupent des positions hiérarchiques (les « forts ») peuvent en abuser et attenter ainsi à la communitas : c'est le rôle des faibles de leur rappeler l'existence de cette communitas. C'est en cela, explique Turner, que réside le « pouvoir des faibles » : c'est pourquoi des personnages humbles comme Gandhi peuvent devenir de puissants hommes d'Etat.

Ainsi enrichi de significations nouvelles, le rite de passage y perdait aussi un peu de sa spécificité : il n'apparaissait plus comme un dispositif symbolique sui generis, mais comme une des formes parmi d'autres que pouvait prendre l'expression des tensions fondamentales des sociétés humaines. Aussi, on ne s'étonnera pas qu'aujourd'hui, où les approches du rituel ont pris encore d'autres orientations (systémiques ou pragmatiques) la notion de rite de passage ne soit plus guère employée qu'à titre descriptif pour désigner les actes les plus prototypiques du genre : initiations, bizutages, rites d'accès à certains groupes..."

Nicolas Journet Arnold van Gennep (1873-1957) Les rites de passage Janvier 2001

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