Exclusion - Précarité - Pauvreté - Relégation-Marginalité

"La lutte contre l’exclusion sociale s’inscrit dans une problématique intersectorielle (santé, social, protection de l’enfance…), concerne une diversité de populations (adultes isolés, mineurs non accompagnés, familles, communautés marginalisées) dans une diversité de contextes de vie (personnes survivant en rue ou en abri précaire, communautés vivant dans des zones périurbaines informelles), de droits (mineurs / majeurs, migrations internes / internationales) et d’état de santé médico-psychologique (victimes de violences, processus de marginalisation et de désocialisation). afd.fr/carte-des-projets/lutter-contre-lexclusion-sociale

 "Les statistiques publiques appréhendent difficilement la grande exclusion, notamment lorsque les personnes concernées n’ont pas de domicile, ne recourent pas aux prestations sociales auxquelles elles auraient droit, ou encore sont en situation irrégulière sur le territoire français. L’action publique en direction de ces publics reste par conséquent très difficile à mettre en œuvre ». L’Observatoire National de la Pauvreté et de l’Exclusion Sociale (ONPES) concluait ainsi son rapport 2009-2010. Bien que, depuis, cet organisme ait mené des travaux plus qualitatifs sur les femmes âgées pauvres, les formes locales de la pauvreté ou encore les travailleurs pauvres, force est de constater que de nombreuses situations de pauvreté pourtant bien réelles échappent encore à l’observation.

En effet, l’hétérogénéité de ces situations rend difficile leur analyse. Qu’il s’agisse de situations marginales ou plus massives, leur point commun serait une forme d’invisibilité sociale comprise à la fois comme l’invisibilité dans l’espace public, la faible (voire l’absence de) prise en compte par les pouvoirs publics et les politiques sociales, ainsi que l’exclusion des statistiques et des travaux académiques. Les causes et facteurs de cette invisibilité renvoient plus précisément aux phénomènes d’isolement social et relationnel, et/ou de non recours aux droits (méconnaissance des dispositifs, complexité de rouages administratifs, sentiment de honte ou de crainte vis-à-vis des institutions). Certains publics restent par ailleurs exclus ou à la marge des catégories traditionnelles de l’action publique quand d’autres demeurent « invisibles » en raison d’une situation professionnelle ou administrative, aux frontières de la légalité...

La notion d’invisibilité n’est pas nouvelle. Elle semble même faire l’objet d’une utilisation consensuelle et constituer une préoccupation partagée par les chercheurs comme par les acteurs publics, alors que « les canaux traditionnels de représentation ne sont plus tout à fait aptes à saisir une figuration et une représentation politique des situations de pauvreté » comme le rappelle Nicolas Duvoux, membre du Conseil de l’ONPES et universitaire, auditionné dans le cadre de cette étude.

A la lecture des différents travaux menés sur cette question, nous avons identifié cinq catégories d’invisibilité :

  • L’invisibilité politico-médiatique
  • L’invisibilité sociale
  • L’invisibilité institutionnelle
  • L’invisibilité scientifique
  • L’invisibilité recherchée par les publics eux-mêmes

Cette typologie, bien que par essence construite, procède d’une analyse des différents facteurs pouvant expliquer l’invisibilité des publics pauvres, tels qu’ils ont émergé des auditions et de la revue de littérature. Sans prétendre être exhaustifs, ceux-ci sont, du côté des publics, le souhait de ne pas se rendre visible (honte, non adhésion aux principes et normes de l’aide, situation illégale), l’isolement géographique (faible accessibilité aux services), l’isolement social et relationnel et la distance vis-à-vis des institution. Du côté de l’action publique, les principaux facteurs d’invisibilité sont l’absence de volonté politique, l’inadaptation des modalités de comptage statistique, l’insuffisance des moyens de repérage, les situations aux marges des dispositifs publics (effets de seuil, hors catégories traditionnelles de l’action publique), le manque de lisibilité et complexité des dispositifs et la fin de prise en charge. Ces typologies ne sont pas exclusives les unes des autres. Bien au contraire, elles sont fortement corrélées.

A – Une invisibilité « politico-médiatique »
B – Une invisibilité sociale
C – Une invisibilité institutionnelle et /ou administrative
D – Une invisibilité scientifique
E – Des publics réticents à devenir plus visibles

  • Comment rendre compte des transitions démographiques (passage à l’âge adulte ou vieillissement), professionnelles (avec une instabilité de plus en plus importante et l’alternance de situations d’emploi/chômage), familiales (ruptures et recompositions) ou encore territoriale (migrations économiques, mobilité professionnelle, etc.) ?
  • L’impact de la stigmatisation, du mépris, de la honte sur les conditions de vie des personnes en situation d’exclusion : comment les situations de disqualification sociale contribuent au développement de ce que tout un courant de la psychiatrie (Furtos) et de la sociologie (Castel, Autès, etc.) dénomme « souffrance sociale » ou « souffrance psycho-sociale » ? Quels sont les effets, notamment psychiques, des situations de précarité sociale durable ?..."

La pauvreté et l’exclusion sociale de certains publics mal appréhendés par la statistique publique

 

"Etymologie : du latin pauper, pauvre" "La pauvreté est le manque d'argent ou de ressources qui fait que des êtres humains n'ont pas les conditions de vie leur permettant de vivre dignement." vikidia.org
 "La moitié des personnes pauvres gagne moins de 752 euros, un niveau inférieur de 18 % au seuil de pauvreté. C’est ce que mesure l’intensité de la pauvreté. Cet indicateur s’est stabilisé à un niveau élevé depuis quinze ans....

 ... Entre le sans-abri qui vit à la rue et une famille modeste qui dispose d’un logement social, la pauvreté regroupe des conditions de vie très différentes. Le seuil de pauvreté que nous utilisons se situe à la moitié du niveau de vie médian, soit 918 euros par mois en 2019 pour une personne seule, après prestations sociales. C’est un montant maximum en dessous duquel se situent des personnes qui ont bien moins que cela.

Pour mesurer les disparités à l’intérieur de la population pauvre, on mesure ce que l’on appelle « l’intensité de la pauvreté ». Pour cela, on rapporte le niveau de vie médian de toutes les personnes pauvres au montant du seuil de pauvreté. Si l’écart est important, cela veut dire que l’on compte des personnes avec de très faibles revenus, très en dessous du seuil de pauvreté. Si l’écart est réduit, cela indique que les pauvres ont un niveau de vie proche de ce seuil. Dans le premier cas, l’intensité de la pauvreté est élevée, dans l’autre, elle est faible.

Essayons de comprendre comment on mesure concrètement cette intensité. En France, le seuil de pauvreté à 50 % du niveau de vie médian est de 918 euros par mois pour une personne seule (donnée 2019). Le niveau de vie médian des personnes dont le revenu est inférieur à ce seuil se situe à 752 euros. Cela veut dire que la moitié des pauvres touchent entre 0 et 752 euros (par mois et pour l’équivalent d’une personne seule) et l’autre moitié entre 752 et 918 euros. Si l’on calcule la différence (918 euros moins 752 euros), on obtient 166 euros : c’est l’écart entre le niveau de vie médian de la population pauvre et le seuil de pauvreté. Si l’on rapporte ces 166 euros à 918 euros, on obtient 18,1 %, c’est la mesure de l’intensité de la pauvreté....

Comment cet indicateur évolue-t-il ? Depuis 20 ans, la seule période vraiment marquante est celle des années 2000. À la fin des années 1990, la croissance économique a été très élevée, le chômage a fortement diminué, ce qui a réduit la grande pauvreté. Le niveau de vie médian des personnes pauvres s’est alors élevé et l’intensité de la pauvreté a baissé de 18 % à 14 %. Mais elle est remontée dès 2005 à 18 % et oscille à ce niveau depuis.

Quel effet a eu la crise sanitaire ? L’ampleur des moyens déployés a évité le pire et la baisse du chômage va plutôt dans le bon sens. Nous ne disposons pas encore des données postérieures à 2019. Pour l’heure, il reste très difficile de faire un pronostic. Face à la reprise de l’inflation, beaucoup dépendra de l’importance de la revalorisation des prestations sociales et des indemnités chômage."

Observatoire des inégalités Une pauvreté toujours aussi intense 3 mai 2023

"La grande pauvreté touche en France environ deux millions de personnes. Globalement, la pauvreté s’est déplacée vers les chômeurs, les familles monoparentales, les jeunes et se concentre dans les villes-centres et périphéries proches. Quelles sont les différentes méthodes pour saisir ce phénomène et quels en sont les écueils ? Les contours du phénomène de la pauvreté et sa mesure sont déterminés, quelle que soit l'optique adoptée, par le biais d'une définition a priori. Dans la plupart des pays non européens, la vision "absolue" de la pauvreté prévaut, fondée sur la capacité à satisfaire un certain nombre de besoins considérés comme des minima vitaux (Julien Damon, Pauvreté dans le monde : une baisse menacée par la crise sanitaire, Fondation pour l'innovation politique, février 2021). La Banque mondiale retient un seuil d'extrême pauvreté de 1,90 dollar par jour, tandis que les États-Unis le définissent annuellement, de manière absolue, à partir d'un panier de biens pour une famille de quatre personnes. À l'opposé de ces approches absolues, l'approche prédominante en Europe repose sur une conception à la fois monétaire et relative : la délimitation de la pauvreté varierait en fonction de la société dans laquelle on vit.

Cette pauvreté monétaire relative, approche statistique de la pauvreté aujourd'hui retenue par l'Insee, considère que tout individu, vivant dans un ménage dont le niveau de vie est inférieur à 60% du niveau de vie médian (1 102 euros par mois pour une personne isolée en 2019, soit 14,6% de la population), est pauvre. Plus significatives peut-être sont les évolutions qualitatives de la pauvreté monétaire : comme dans l'ensemble des pays développés, celle-ci s'est déplacée vers les chômeurs (38,9% de pauvres dans cette catégorie), les familles monoparentales, les jeunes et les populations urbaines. Très exposées au cours de la période dite des "Trente glorieuses", les personnes âgées et retraitées apparaissent aujourd'hui relativement épargnées par la pauvreté, vue au prisme de l'indicateur standard. Cela s'explique par le fait que les montants des retraites – quoique relativement modestes –, la pension de droit direct s'élevant en moyenne en 2016 à 1 294 euros par mois, correspondent à un niveau de vie souvent supérieur au seuil de pauvreté monétaire. En évolution, la pauvreté monétaire relative a baissé depuis les années 1970, mais a légèrement augmenté depuis le début des années 2000.

Cet indicateur permet également de documenter une évolution de la pauvreté : plus concentrée sur les jeunes, elle affecte également particulièrement certaines catégories de ménages, situées à la croisée des vulnérabilités économiques et sociales, ainsi que d'un déficit de protection sociale. Ainsi, les familles monoparentales sont-elles particulièrement exposées. De même, les jeunes (enfants et jeunes adultes) sont-ils plus concernés par la pauvreté monétaire que la moyenne. Cela a trait à l'absence, relative, de protection sociale générale dont ils souffrent, même si des aides spécifiques ont été développées.

L'absence d'activité, et notamment le chômage, est le premier déterminant de l'entrée dans la pauvreté. Celle-ci révèle l'ancrage de la pauvreté dans une société salariale, où l'emploi stable est le principal pourvoyeur de ressources, mais aussi d'utilité sociale, en même temps qu'une inscription pérenne sur le marché de l'emploi conditionne l'accès à une protection sociale de type assurantiel (assurance-chômage notamment, mais également assurance vieillesse).

Suivant les évolutions plus générales de la société française (urbanisation et étalement urbain), la pauvreté se concentre dans les villes-centre et les périphéries proches. Ces évolutions générales ne sont, en rien, exclusives, de l'existence d'une pauvreté rurale ou périurbaine, de même que l'exposition des jeunes n'empêche pas des personnes âgées, notamment des retraités, de connaître de graves difficultés. Pour les mesurer, d'autres indicateurs sont disponibles et ont été développés..."

Nicolas Duvoux - Professeur de sociologie à l'université Paris 8, président du Comité scientifique du Conseil National des Politiques de Lutte contre la pauvreté et l'Exclusion sociale Pauvreté en France : mesures et réalités d'une notion complexe


"Les quartiers d’habitat social paupérisés, situés le plus souvent à la périphérie des villes, que nous dénommons pudiquement « banlieues sensibles », monopolisent pendant plus d’un quart de siècle la réflexion sur la segmentation territoriale et la ségrégation sociale. En France, au cours des trois décennies 1970, 1980 et 1990, appréhender la ville sous l’angle du « social », c’était pratiquement ne parler que des banlieues reléguées. Celles-ci faisaient l’objet de toutes les attentions politiques, économiques et même scientifiques. Chercheurs en sciences sociales et décideurs politiques accouraient vers les banlieues paupérisées, proposant diagnostics et avançant remèdes. Les origines de la « crise » urbaine devaient, disait-on, être recherchées au sein des banlieues défavorisées. Durant ce temps, les autres segments de la ville, indifférenciés, et à l’écart des analyses scientifiques et des discours politiques, semblaient ne pas susciter d’interrogation. Mais, depuis trois ou quatre ans, une poignée de sociologues, géographes, philosophes, politistes, chacun à leur manière, appréhendent de façon différente la question des ségrégations socio-urbaines. La ville d’aujourd’hui est, pour ces chercheurs, traversée par toute une série de fractures de plus en plus accentuées spatialement et socialement : les centres-villes embourgeoisés s’opposent aux lotissements périurbains moyennisés – mais qui se prolétarisent ; les quartiers de grand standing situés dans les banlieues verdoyantes s’éloignent et se protègent des cités hlm..."

cairn.info Distinction, stigmatisation et relégation dans la ville  Jean-Marc Stébé, Hervé Marchal Dans La sociologie urbaine (2014), pages 85 à 102


Environnement et relégation sociale
, l'exemple de la ville de Saint-Denis du début du XIXe siècle à nos jours

CHRISTIAN NICOURT, JEAN MAX GIRAULT

"Marge, marginalité, marginalisation

Une marge est, au sens premier, un espace situé en périphérie de quelque chose. On parlera par exemple de la marge d’un texte, des marges d’un bois… L’étymologie du terme (en latin margo, bordure, puis dans le monde germanique marka, frontière) est donc la même que celle de marches. Une marge peut donc désigner une limite, une frontière, une bordure (en océanographie, la marge continentale). De même, l’expression « en marge de » signifie à l’écart, en périphérie (« se mettre en marge d’une discussion »). La notion de marge ne peut donc s’analyser seule et renvoie toujours à la fois à un groupe ou à un espace considéré comme central, mais aussi à une dynamique (la marginalisation, c’est-à-dire la mise en marge).

Le terme de marginalité désigne quant à lui une situation : le fait d’être en marge, de ne pas être pleinement partie prenante d’un système. Le terme fut d’abord employé au sens de marginalité sociale, avant d’être utilisé par les géographes (marginalité spatiale). Les historiens comptent parmi les premiers à avoir introduit dans le champ des sciences sociales la notion de marginalité sociale. Ainsi, Bronislaw Geremek s’intéresse à la figure du vagabond dans son analyse de la pauvreté dans les cités médiévales. Toutefois, c’est l’École de Chicago qui suscite de nombreuses recherches sur les individus marginaux (l’étranger, le hobo) puis sur les groupes en marge de la ville. En minorité, coupés de leur communauté d’origine, ils ne sont pas reconnus comme membres de la société urbaine. Ils peuvent être perçus comme transgressant les normes dominantes. Parler de marginalité revient à appréhender sous l’angle moral diverses conduites en lien avec les notions de déviance et d’inadaptation. Le terme de marginalité sociale recoupe donc toujours une dimension culturelle, voire un aspect normatif. C’est dans les années 1970 que la notion de marginalité s’est déployée en France. Plutôt que de parler d’un état (être en marge de la société salariale, ou en être exclu, pour employer un terme très présent dans la littérature scientifique des années 1990, l’exclusion se substituant parfois à la marginalité), plusieurs sociologues soulignent l’importance d’analyser les processus conduisant à ces situations : il est davantage question de marginalisation ou encore de désaffiliation (Castel, 1995). Tendant à se superposer à celle de la pauvreté dans les années 1980 et plus encore 1990, la problématique de la marginalité conduit à analyser les inégalités sociales en lien avec l’étude des rapports de domination : quels sont les enjeux sociaux et politiques autour des catégorisations et placements des individus et groupes au sein d’une société donnée ?

Les expressions de marge, marginalité, marginalisation, ont souvent été utilisées par les géographes selon deux approches complémentaires :

  • à partir des années 1990, dans le cadre d’une analyse centre-périphérie. Dans ce cadre, la marge est alors considérée, soit comme un synonyme pur et simple de périphérie, soit pour qualifier des périphéries extrêmes, caractérisées par une grande faiblesse de relations avec le centre, et ce, au contraire de périphéries dites « intégrées ». Les travaux sur la mondialisation et sur la formation d’un « système-monde » ont notamment permis de décrire des centres, des périphéries intégrées, mais aussi des espaces « en marge » de cette mondialisation. De même, à une autre échelle, s’inspirant à nouveau du binôme centre-périphérie, des géographes étudient par exemple « la France des marges », ou encore les marges rurales et les transformations des espaces périurbains, soucieux d’en discuter les limites et de saisir leurs dynamiques de production, parfois en écho aux travaux sur les discontinuités et processus de différenciations spatiales chers à l’analyse spatiale.
  • depuis le début du XXIe siècle, dans le cadre d’une géographie sociale et culturelle. Les géographes ont alors moins convoqué le terme de marge que ceux de marginalité et de marginalisation. Les travaux sur les inégalités socio-spatiales et sur la fragmentation socio-spatiale ont souvent utilisé les trois termes. L’enjeu est alors de discuter de la place de l’espace dans une approche de la marginalité. Partant de la notion de marginalité sociale, il est question de comprendre comment la référence à l’espace exprime, redouble ou réduit les différenciations sociales et comment sont produits à la fois une marge et des catégories de marginaux. On relèvera que l'étude de la marginalité ne se résume pas à discuter de la pauvreté mais peut aussi conduire à des travaux sur les élites et diverses formes spatiales telles les communautés fermées.

(MCD), juillet 2016, dernière modification (SB et CB) octobre 2022.

geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/marginalite


ceser-nouvelle-aquitaine.fr/2023-06/Ceser_Rapport_Pauvrete

 

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