Politesse
"On entend souvent déplorer le fait que la politesse n'existe plus, ou tout au moins qu'elle est une valeur en voie de disparition.
Selon Sophie Duchesne, chargée de recherche au CNRS, la politesse n'est pas morte, elle imprègne même fortement les relations entre enfants et adultes. En revanche, ses usages et ses modes d'apprentissage semblent se diversifier...
"deux conceptions [...] sous-tendent les rituels de civilité : la « politesse en héritage » et la « politesse par scrupules ».
La « politesse en héritage » est la conception « traditionnelle » que l'on retrouve déjà décrite dans la littérature du siècle dernier. Elle repose sur une vision holiste du monde, dans laquelle les relations entre les individus sont envisagées de façon formelle, en fonction d'une hiérarchie et d'un certain ordre sur lequel se fonde la société et le respect dû à chacun. Cette politesse est transmise de façon autoritaire, par la récompense ou la punition. Dans cette optique, les « bonjour », « merci », « au revoir » enseignés aux jeunes enfants sont présentés comme des sortes de « sésames du monde social » permettant de vivre avec les autres : un enfant qui adoptera un comportement poli se rendra vite compte qu'il obtient plus facilement ce qu'il veut... Toutefois, remarque S. Duschesne, cette vision utilitariste peut l'inciter à n'user de la politesse que lorqu'elle peut être payante.
la « politesse par scrupules », [...] relève d'une vision universaliste du monde. Les formes de civilité sont alors considérées comme source de plaisir : l'enfant, lorsqu'il est traité poliment, conçoit le plaisir qu'il peut susciter en étant poli. Dans cette acceptation, la considération que l'on a pour soi se nourrit de celle que l'on attribue à autrui et la politesse de l'adulte doit être première, pour permettre à l'enfant de sortir de son égocentrisme et prendre conscience de l'existence des autres. Cette stratégie, toutefois, comporte elle aussi ses risques : le danger est de voir s'instaurer un chantage affectif du type : « Si tu n'es pas poli avec moi, c'est que tu ne m'aimes pas »... Cette conception de la « politesse par scrupules » s'est répandue avec le mouvement d'idées issu des événements de 1968.
Elle se rapporte également à l'oeuvre de Norbert Elias qui, dans La Civilisation des moeurs (1973), montrait que « la courtoisie (...) et les expressions de la civilité témoignaient d'une assimilation croissante des normes par intériorisation de la contrainte sociale ». De l'utilité au plaisir, les évolutions observées seraient-elles alors inscrites dans la poursuite d'« un processus de civilisation » ?"
Sophie Duschesne, « La politesse entre utilité et plaisir. Mode d'apprentissage de la politesse dans la petite enfance », Esprit, juillet 1997.