Prendre soin - Le care

"Le care (pron. à l'anglaise kɛə) est une « éthique de soin, de la sollicitude » (Rimlinger, 2023, p. 365). L'usage du mot « care » en France date des années 2000 et vient des États-Unis... Ce verbe qui signifie « prendre soin, s'occuper de » est devenu un substantif à la suite des travaux de la psychologue américaine Carol Gilligan en 1982 sur l'éthique du care, dans le cadre d’une étude de psychologie morale. Le concept de « care » s'est ensuite diffusé dans de nombreux champs disciplinaires, allant de l’éthique à la sociologie, en passant par les études médicales et la philosophie politique. Joan Tronto, la politiste et féministe américaine, le définit comme « une activité générique qui comprend tout ce que nous faisons pour maintenir, perpétuer et réparer notre monde».

Parfois traduit en français par « soin » ou « souci » ou « sollicitude » ou « dévouement », le mot care est souvent utilisé non traduit, faute de terme suffisamment englobant en français pour ce terme polysémique. En effet, il désigne à la fois l’attention portée à autrui qui suppose une disposition, une attitude ou un sentiment et les pratiques de soin qui font du care une affaire d’activités et de travail. Une tension majeure travaille en effet le concept de care, entre disposition morale et pratique sociale.

Le care est l’objet d’un partage social selon le genre, l'assignation raciale et la classe. Il peut alors devenir l’objet d’un travail mal rémunéré (travail des dominés ou des faibles au service des puissants) et peu considéré alors même qu’il constitue un rouage essentiel du fonctionnement de la société.

(MCD) juin 2015. Dernières modifications (JBB), novembre 2023.

Références citées
  • Gilligan Carol, Une voix différente. Pour une éthique du care, trad. A. Kwiatek, Paris, Champs essais-Flammarion, 1982, trad. 2008"
  • Rimlinger Constance, « Peut-on concilier une recherche d’émancipation féministe et un mode de vie plus écolo ? », in Boursier Philippe et Guimont Clémence (dir.), Écologies, le vivant et le social, 2023, 622 p. 

https://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/care#:

 

"le 18 octobre 1970, Winnicott fait une causerie dont le titre est Cure...
C
e terme pouvait, en anglais, être considéré comme dénominateur commun d’une pratique religieuse et d’une pratique médicale.
Mais, avait-il aussitôt déclaré à son auditoire, il ne comptait pas profiter de l’occasion qui lui était offerte pour leur parler de la religion de l’expérience intérieure, mais plutôt de ce qu’il ne craignait pas d’appeler une sorte de religion de la relation extérieure.

« Si le mot cure avait la possibilité de parler, leur avait-il dit – non sans cette pointe d’humour qui lui était coutumière, nous pourrions nous attendre à ce qu’il nous raconte une histoire, les mots ont cette valeur-ci : ils ont des racines étymologiques, ils ont une histoire comme les êtres humains. Ils ont parfois un combat à mener pour établir et maintenir leur identité. Je crois que cure, en ses racines, signifie care. Vers 1700, il a commencé à dégénérer en devenant un terme remedy, dénommant un traitement médical. C’est ce passage de care à remedy qui m’occupe précisément ici. »

« Qu’est-ce que les gens attendent de nous, médecins, personnes soignantes ? leur avait-il dit. Qu’attendons-nous, nous-mêmes, lorsque nous sommes immatures, malades ou vieux ? Ces états – immaturité, maladie, vieillesse – engendrent la dépendance. Ce qu’on attend donc de nous, c’est qu’il soit possible de dépendre de nous. On nous demande d’être humainement fiables, on veut que cette fiabilité, cette possibilité de dépendre de nous, fasse partie de notre attitude générale. »

Pour cette raison, leur avait-il annoncé, le thème de sa causerie serait Reliability meeting dependence, la fiabilité allant à la rencontre de la dépendance.
[...] dans cette traduction que je propose, ce « allant à la rencontre », [...]  signe d’une certaine manière toute la démarche de Winnicott, tant dans les cures de personnes qui s’étaient adressées à lui que celle qu’il préconisait aussi aux soignants quels qu’ils soient, comme il le fit ce jour-là.
[...] les accueillants ont bien acquis l’expérience qu’il ne suffit pas d’être là passivement. Il faut aussi savoir – d’un savoir puisé à l’intérieur de soi – aller à la rencontre de l’autre, de telle sorte que se réalise réellement une rencontre entre les deux personnes.

« Fiabilité » est un terme émaillant nombre d’exposés de Winnicott qui, dans son enseignement, insistait sur la nécessité pour le patient d’avoir foi en la personne à qui il s’adresse.
[...] En étant fiables dans notre travail professionnel, avait-il expliqué aux médecins et infirmières, « nous protégeons nos patients de l’imprévisible. Nombreux sont ceux qui souffrent du fait qu’ils ont été soumis à l’imprévisible. Aussi devons-nous, nous, soignants, nous garder d’être imprévisibles, car derrière l’imprévisibilité, il y a la confusion mentale, et derrière celle-ci, éventuellement un fonctionnement somatique chaotique, c’est-à-dire une inconcevable angoisse physique ».

Toute affection grave suscite chez la personne atteinte des besoins de dépendance. Pouvoir ressentir avec justesse ces besoins de l’autre demande aux soignants d’être capables de se livrer à ce que Winnicott appelait cross identifications, des identifications croisées, c’est-à-dire un mode d’identification semblable à celui qui se joue entre une mère et son nourrisson quand rien n’entrave pour la mère la relation à son enfant. Ce type d’identification est sous-tendu par cette sorte de maladie normale de la mère, au cours des semaines précédant et suivant l’accouchement, qui génère ce que Winnicott avait dénommé la préoccupation maternelle primaire. Et c’est elle qui engendre la capacité de holding. Je dis bien « capacité de holding », car toutes les mères ne sont pas capables de porter leur bébé de telle manière que celui-ci puisse se sentir en sécurité.

[...] L’impact psychique déstructurant de l’irruption de la maladie est susceptible de délier les pulsions destructrices, de les désintriquer des pulsions de vie. Pour les soignants, prendre soin d’un patient, tout comme le font les parents avec leurs enfants, vise à lier la destructivité potentielle des uns et des autres, à faire obstacle à la désintrication, intrapsychiquement et intersubjectivement, en liant les pulsions destructrices à un objet capable de reconnaissance et de sollicitude. 

[...] Voilà l’essentiel de ce que je souhaitais évoquer à propos de ce que « prendre soin » peut signifier.

[...] Les uns comme les autres ne doivent jamais oublier que toute écoute, toute parole, tout silence, tout geste, tout acte, aussi technique qu’il puisse être, doit toujours s’inscrire dans un processus gouverné par le care, l’attention à l’autre, le prendre soin de la personne qui s’est remise entre leurs mains, qui leur a fait confiance au point de s’en remettre à leurs soins."

Jean-Pierre Lehmann Ce que « prendre soin » peut signifier

"« Le premier médicament est le médecin ». On se souvient de cette phrase de Michaël Balint, synthétisant l’apport qu’il fit en 1957, à travers son ouvrage Le Médecin, son malade et la maladie. « Le premier soin est le soignant », avait déjà « écrit » Hildegarde Peplau en filigrane de son livre, cinq ans auparavant : Les relations interpersonnelles en soins infirmiers."

Jérôme Pellissier Réflexions sur les philosophies de soins

 

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