Tr"OU"vailleur* social
« Le travail social a pour vocation première d’aider à ce qu’une personne, une famille, un groupe de personnes, ait accès aux droits que la société lui confère et crée ou recrée des liens sociaux. C’est à partir des attentes du bénéficiaire, de ses problèmes, de la perception qu’il a de son propre devenir, de ses potentialités visibles ou à faire émerger que doit se développer le travail social. Celui-ci devra permettre à l’usager de devenir acteur de sa relation avec la société et de la réappropriation de ses droits. »
Définition du travail social fournie par l’onu et reprise par le Conseil économique et social Rapport du Conseil économique et social, 2000, Mutations de la…
"Les travailleurs sociaux sont au premier rang des conséquences sociales et humaines de ces déchirures du tissu social... Si notre tache demeure la transformation d'un monde qui devienne enfin hospitalier aux hommes et propice à leur épanouissement, il n'en importe pas moins, en aval, d'assurer une présence solide dans les lieux de deshérence pour prévenir, contenir, prendre en charge le mal de vivre ou les ruptures de liens grandissant dans nos sociétés occidentales si la tache des sciences humaines est de penser les écarts, les tensions entre les individus et le monde, de projeter des chemains de sens, celle du travailleur social est de les relier de manière propice, de reinstaurer du lien là où primait la séparation.
Le travailleur social agit dans la déchirure des sociétés, il est à son niveau, le passeur entre les mondes...
Se croise une solide expèrience du travail social et un engagement dans le soucis de comprendre, non pour la beauté du geste , mais pour mieux l'altérité en souffrance pour qui fait profession de la prendre en charge. L'antropologie est une quête de l'autre en soi et de soi en l'autre dans la conviction nécessaire et permanente de l'égale dignité des hommes. Et d'une responsabilité qui ne doit jamais se compromettre. Il ne s'agit pas seulement de bonne conscience ou de bonne volonté mais d'abord d'une professionnalité, d'une pensée et d'une action à la hauteur des exigences du terrain...
...Rappel des conditions sociales qui accentuent aujourd'hui la puissance d'un libéralisme qui se diffuse dans les esprits pour alimenter un travail social, ou plutot une ingéniérie, contestable dans sa forme ou son fond, procédurière, peu à l'écoute des hommes et de leurs souffrances... Il y a l'arrogance de ces démarches fondées sur le mépris de l'autre et qui pense que les méthodes de gestion en cours dans les entreprises sont ègalement valables ailleurs.
Evoquer, comme je l'ai fait, la métaophore de l'archipel, c'est souligner la question de l'entre deux et donc celle de l'adolescence ou de la jeunesse, c'est poser la question du passage, de la liminarité, et c'est là que l'image du travailleur social comme passeur s'impose...
Le travailleur social est l'homme ou la femme du gué, il permet à celui qui se noyait de s'appuyer sur un sol plus ferme, celui d'un sens réaproprié. On peut ici reprendre à Winnicott une idée qu'il applique à la psychothérapie.
Le travail social s'effectue là où deux aires de jeu se chevauchent, celle du travailleur social et celle de celui qu'il accompagne avec une humilité mêlée à la conviction de la nécessité de la présence.
Le travailleur social est un compagnon de route essentiel, un visage qui contribue au cheminement vers soi d'un homme ou d'une femme en souffrance de sens, en "rade" au milieu de la traversée et qui risque d'être emporté par le courant.
Certes il n'a pas le monopole de la prévention ou du soutien, à tout moment chaque interloccuteur de l'homme ou de la femme en difficulté est susceptible de jouer un rôle de holding ou de containing, c'est à dire de s'offrir en tuteur, en jalon susceptible d'appuyer l'élan. L'entourage familial, le voisinage, les enseignants, peuvent déployer des ressources inattendues. Une parole amicale ou un sourire, une parole qui témoigne de la reconnaissance de soi s'ouvrent comme des fleurs japonnaises au contact de l'eau, elles semblent peu de chose mais leur réception fait son effet. a tout moment chacun d'entre nous peut se trouver à la croisée des chemins, même à son insu, et devenir un instant la boussole qui permet à un autre de poursuivre sa route. Etre un passeur ce n'est pas nécessairement avoir conscience de l'être ni même en avoir l'intention. Parfois c'est d'être là.
L'intégration au monde est une tache sans fin, elle demande pour certain un effort plus difficile que pour les autres car ils ne disposent pas des accroches de sens qui permettent de sentir sous leur pas un sol ferme.
La réalité du dedans et celle du dehors ne coïncident pas. "Ma vie ne me ressemble pas" chantait autrefois douloureusement Fabienne Thibault. alors il faut constituer cette "aire intermédiaire", comme dit Winnicott, qui autorise le replit. Le travailleur social est le passeur de cet espace, la frontière solide pour éviter l'échapée hors du réel, le détachement du lien social. Il est le rappel d'une exigence de sens et de valeur, il maintient l'appel vers le lien. L'attache au monde peut être fragile, mais elle fonctionne pour cet autre en souffrance, au sens réel et symbolique du terme, comme un contenant, l'ultime limite. Sa tâche n'est donc pas de juger, mais de comprendre et d'accompagner, de prévenir le pire par sa qualité de présence...
... nous ne devons jamais céder sur "l'optimisme de la volonté"."
David Lebreton - Anthropologue 2ème université d'été du travail social La Rochelle 23-24 août 2006
"Le role social des travailleurs sociaux aujourd'hui.
Les travailleurs sociaux constituent des professions bien singulières : que peut bien signifier "travailler" "le" ou "sur" le social.
On peut comprendre naturellement qu'il s'agit de "travailleur", mais dont le travail a un objet particulier qui est la "société". Si comme tous les travailleurs ils produisent soit des biens, soit des services, on doit alors comprendre qu'ils produisent un service spécifique : la société elle même, qui de ce fait ne peut être considérée comme un donné préexistant, mais qui doit au contraire être l'objet d'un "travail" pour advenir comme "société" ou plus surement comme "une certaine forme de société".
Dans ce bref propos préliminaire, on aura naturellement reconnu les intuitions tant de Marx avec la thématique de la "reproduction sociale" (dont les théories du "contrôle social" des années 70, appliquées au travail social, ont d'ailleurs fait grand usage) ou encore celles de Durkheim avec les formes de "solidarités" qui exposent les sociétés industrielles à aménager en leur sein une "société organique" qui procède d'une activité consciente et instituée pour fabriquer et aménager l'interdépendance sociale.
Les travailleurs sociaux procèdent donc d'une logique "d'institutions instituantes", à savoir des montages collectifs d'organisations et de professions qui sont engagées dans cette dialectiquequi consiste à reposer sur une société qui les établit de façon à ce qu'en retour elles établissent cette même société.
Comme l'enseignant ou encore le juge ou le policier, le travailleur social est donc pris dans cette position en tension : être à la fois le garant d'un ordre dont il procède, mais dont il doit établir en même temps et le contenu et les modalités de fonctionnement. Mais le travailleur social l'est plus encore (sauf à remarquer que les autres figures de la norme et de l'intergration sociale ont perdu beaucoup de leur assurance antérieure), parce que lui joue à l'exacte limite où il opère cette tension et où elle doit trouver à se résoudre : il est à l'intersection de la norme et de sa marge comme le font les institutions de contrôle et de répression ; on le comprend bien si l'on observe que la postion organisationnelle des travailleurs sociaux est en rélité une bonne métaphore de sa fonction : appartenant à une organisation qui le mandate, il est donc du coté de la norme ; en relation avec les personnes dites "en difficultés" ( en "difficultés" pour tenir les normes sociales...), il est englué dans les marges ou les institutions sociales et leur englobant la "société" n'opèrent plus.
Si l'on demande alors quels sont, dans une telle approche, les enjeux contemporains du travail social, deux paraissent péèminents : D'une part, les normes capable de permettre de "faire société se dilluant, comment opérer le lien entre les situations singulières et le cadre universel par lequel on peut faire société.
D'autre part, ces mêmes normes se dilatant, comment trouver une place à un travail social lorsque tout est "travail social".
Robert Lafore Professeur de droit public Directeur de Sciences Po Bordeau 2ème université d'été du travail social La Rochelle 23-24 août 2006
Quand le sociologue Bertrand Ravon nous parle des épreuves que traversent les travailleurs sociaux.
Invité à s’exprimer dans le cadre des entretiens du livre blanc du travail social, le sociologue Bertrand Ravon (professeur des universités, Lyon2) nous a parlé des défis à relever pour le travail social en fonction des épreuves que subissent les professionnels de l’aide. Dès le début de son intervention, il nous alerte. Il y a deux types de travailleurs sociaux : ceux qui sont « démontés », ils ne parlent plus et s’en vont à bas bruit. Après avoir subi un arrêt de travail, ils ne veulent plus entendre parler de leur métier et en sont en quelque sorte « dégoutés » ou du moins désabusés. Puis, il y a ceux que l’on entend, car ils sont « remontés ». Ils parlent fort pour exprimer une plainte. Les travailleurs sociaux ne vont pas bien, c’est le moins que l’on puisse dire. L’auteur cite Yves Clot qui dit que « Quand le métier ne parle plus, il n’est pas rare que le professionnel en fasse une maladie ». Son exposé, très clair nous invite à réfléchir sur ce que l’on nomme désormais la crise d’attractivité des métiers. Le sociologue qui connait bien le travail social, ne se contente pas de dire ce qui selon lui ne va pas. Il nous fait une série de propositions pour renouer avec les pratiques de métier tout en s’appuyant sur ce qui vient d’en bas…
Mais comment en est-on arrivé là ?
Bertrand Ravon nous explique qu’il y a désormais une disjonction entre le travail social prescrit et le travail social réel. Elle provoque une perte du sens de l’action qui est une atteinte à l’autonomie professionnelle. Le « travail bien fait » est devenu invisible, car le travail non prescrit continue d’être une réalité est niée par les employeurs et le management. L’engagement personnel du travailleur social auprès des publics concernés n’est pas valorisé. Il pourrait même être considéré comme suspect. Conséquence, puisque ce travail réel est non reconnu, les professionnels ont le sentiment d’avoir à prendre des décisions en fonction de leur morale personnelle dont la légitimité est incertaine.
« Comment tenir » ? C’est la question qui se pose dans un tel contexte. Comment, dans un monde fragile et incertain, est-il possible de continuer à agir pour rendre les choses supportables ? C’est tout l’enjeu auquel les travailleurs sociaux sont confrontés. Ils sont soumis à de multiples épreuves, nous dit Bertand Ravon. Il en décline quatre : celles de la professionnalité, celles liées à la relation, celles qui relèvent des organisations et enfin celles qu’il définit comme politico-éthiques.
Première épreuve : la professionnalité
Bertrand Ravon nous rappelle d’abord ce que représente ce terme. C’est l’ensemble des capacités professionnelles à un moment T. Elle apparaît dans l’acte même de travail. C’est elle qui permet de s’adapter face à de nouvelles situations inattendues. L’épreuve de la professionnalité est différente. C’est une compétence issue de l’expérience, qui permet à la fois de respecter les règles du métier (les professionnels ont été formés dans cette perspective) et de les « transgresser » afin de s’adapter aux situations.
Ce sont donc ces épreuves de la professionnalité qu’il nous faut maintenant comprendre. Ces épreuves provoquent un travail incessant d’ajustement entre les prescriptions et les situations, entre les procédures standards, les ressources rares et diverses, et la singularité de chaque intervention. Cela oblige de passer par où on peut passer pour continuer d’aider la personne. Quitte à être dans la transgression. C’est savoir faire des pas de côté et se débarrasser s’il le faut des procédures en activant ses réseaux. Ce qui permet de tenir.
Deuxième type d’épreuves, celles de la relation.
Elles ne datent pas d’hier. Depuis les années 70, l’épuisement professionnel devient une constante. Cela est dû à la montée des précarités. Les travailleurs sociaux font alors face à des situations de violence, de maltraitance, de souffrance psychique… Cela vaut autant pour les usagers que pour les professionnels eux-mêmes qui verront leur statut dégringoler au fil des ans.
Cette épreuve est aussi due pour une part par la montée de l’expertise revendiquée des personnes accompagnées. Il ne s’agit plus de construire un diagnostic d’une situation, mais de co-construire ce diagnostic dans une logique d’égalité qui ne peut être atteinte. Il y a toujours un aidant en position « haute » et un aidé en position que l’on souhaite la moins basse possible. Cela contribue à fragiliser l’expertise du professionnel : il n’est plus le seul à savoir de quoi il retourne. Le travailleur social fait alors face à un défi majeur : rien ou presque ne peut se construire sans gagner la confiance de son interlocuteur. Cela ne peut se faire qu’au prix d’un travail conversationnel où chacun engage une charge émotionnelle. Cela paraitra évident pour certains, mais il faut reconnaitre que ces modalités d’action mobilisent beaucoup les travailleurs sociaux dans ce que l’on appelle les affects.
Troisième type d’épreuve : l’organisationnel
Les épreuves organisationnelles se traduisent par une augmentation de la charge et de l’intensité du travail. Tout acte interagit avec des partenaires avec qui il faut sans cesse se mettre à niveau. Chaque intervention s’inscrit dans un ensemble d’interventions successives, où le professionnel est interdépendant des autres intervenants.Un temps conséquent est mobilisé pour se coordonner, s’adapter aux divers acteurs qui pratiquent de façon plus ou moins cohérente.
Ce travail en réseaux complexifie beaucoup les pratiques. Le travail d’écriture prend une place de plus importante sans parler du temps passé au reporting. Cette technique est un processus de collecte, d’analyse et de présentation d’informations sur les situation et les actes posés qui doivent s’inscrire dans un projet ou à minima dans un processus. Le travailleur social passe de plus en plus de temps à rendre compte ainsi qu’à « rendre des comptes ». Cela produit une « extension phénoménale du travail d’écriture » précise Bertrand Ravon.
Une autre dimension épuise les professionnels de l’aide : c’est le pilotage par l’aval. Ainsi certaines instances multiplient les réunions de commissions diverses qui orientent le travail engagé dans des directions qui peuvent être surréalistes. Il y a un travail théorique prescrit par les commissions et un travail réel de ce qu’il est possible de faire avec la personne. Bien évidemment, c’est encore pire quand le bénéficiaire de l’aide n’est pas associé.
À cela s’ajoutent des temporalités contradictoires. Le temps prescrit (c’est-à-dire calculé en amont d’une mesure d’accompagnement) ne s’accorde jamais avec le temps qu’il faut (non mesurable) pour accompagner la personne soumise aux aléas de la vie, mais aussi de la précarité qu’elle subit.
Les épreuves politico-éthiques
Les travailleurs sociaux sont soumis à des formes d’injonctions contradictoires. Ils sont souvent dans l’indétermination face à des situations assez inextricables. Bertrand Ravon prend pour exemple la situation inconfortables dans laquelle l’accompagnement éducatif peut trouver des limites à l’attente de résultats rapides et concrets. Il faut aider des personnes à être autonomes alors que les contraintes mêmes les en empêchent. la multiplication des normes (juridiques, déontologiques, morales…) les inscrit dans des dilemmes éthiques. Ainsi comment agir avec quelqu’un qui, parce qu’il touche une prestation, doit être accompagné lorsqu’il ne le souhaite pas. Comment agir avec de personnes (nombreuses) qui développent des troubles psychologiques qui hypothèquent leur insertion ?
Le travailleur social est sans cesse confronté à des dilemmes éthiques peu pris en considération. Pourtant, nous dit le sociologue, nombreux sont celles et ceux qui ont du métier.
Qu’est-ce qu’avoir du métier ?
C’est, nous dit Bertrand Ravon, avoir plusieurs cordes à son arc. Il s’agit pour le travailleur social de savoir agir avec diplomatie en sachant sans cesse s’adapter aux attentes et demandes de son interlocuteur. La personne est concrètement au centre de son attention.
Le professionnel sait agir avec tact. Agir avec tact, c’est communiquer ou interagir avec son interlocuteur de manière délicate, sensible et respectueuse, en tenant compte des sentiments, des opinions et des circonstances particulières des personnes concernées. Cela implique d’éviter d’offenser, tout en abordant les situations délicates avec diplomatie et discernement.
Le travailleur social sait aussi agir avec ce qu’il a à sa disposition. Il fait avec les moyens du bord même si ceux-ci sont de plus en plus limités. Malgré le manque de moyens, il trouve des solutions. Cela a été particulièrement le cas lors de la pandémie.
Il sait aussi agir de façon « oblique ». Il fait appel à la ruse pour agir au bon moment. Il met toutes les chances de son côté. je vous propose à ce sujet cet article qui s’intitule « les sept ruses de l’intelligence des travailleurs sociaux »
Sa pratique éthique le porte à agir du côté du « moindre mal ». Il sait que, quoi qu’il fasse, il n’existe pas de solution miracle. Mais parmi les réponses possibles certaines sont moins dommageables que d’autres. Il lui faut savoir peser le pour et le contre avec la personne qu’il accompagne.
Une autre particularité du professionnel qui « a du métier » se traduit par sa capacité de maitriser le processus d’intervention dans son entier. Il sait aussi pour cela faire reculer les limites de son métier et aller au delà si la situation le demande. Mais il sait en toute circonstance expliquer pourquoi et comment il agit ainsi.
Ceci dit, que faire aujourd’hui ?
Il faut reparler du métier et non agir comme si les compétences spécifiques n’existaient pas. La crise actuelle nous y oblige. Les compétences métier ont été perdues de vue par les employeurs qui sont invités à agir dans quatre directions.
- Les prescriptions et les commandes institutionnelles doivent être réalisables. Cela peut paraitre évident mais cela est loin d’être le cas. Cela oblige à préciser ce qui est attendu de façon réaliste.
- Il leur faut accepter les « débordements ». De nombreuses situations ne peuvent avancer que si le professionnel fait ce pas de côté qui sort des dispositifs et parcours réglementés.
- Les directions devraient valoriser les engagements des travailleurs sociaux plutôt que d’agir sans en tenir compte. De nombreux professionnels s’engagent auprès des personnes sans que les hiérarchies en aient toujours conscience.
- Enfin il s’agit de considérer et de prendre soin de la parole des travailleurs sociaux. Certains ont l’impression de ne pas du tout être entendus non seulement dans leurs demandes mais aussi lorsqu’ils expliquent ce qui se passe et se construit dans un accompagnement. Aujourd’hui la tendance est de n’apprécier que le résultat sans regarder le processus et la qualité de ce qui a été réalisé.
Bertrand Ravon nous invite à développer des espaces de parole. Il s’agit de pouvoir partir du récit de l’activité pour lui redonner collectivement un sens qui va audelà une simple expérience personnelle. Le sociologue explique qu’il faut pouvoir « socialiser le trouble ». Comment ? à partir des embarras et des dilemmes, il s’agit de faire le tour des points de vue en utilisant différentes approches telles la controverse (qui consiste à chercher l’accord sur les désaccords), le dialogue (qui permet de progresser pas à pas), l’enquête (avec par ex. l’exploration ethnographique de l’activité) sans oublier les recherches collaboratives (telles les recherches actions etc.)
L’un des enjeux consiste aussi à redéfinir l’action (et son sens) collectivement et par « le bas ». En tenant compte du réel concret, on a plus de probabilités de trouver des solutions satisfaisantes pour tous. Aujourd’hui certains travailleurs sociaux, tels les éducateurs de prévention sont tenus de dire toutes les trente minutes les actes professionnels qu’ils posent via une application sur leur smartphone. Ne nous étonnons pas alors qu’ils préfèrent partir faire autre chose. Bertrand Ravon tacle au passage les « inanités » de la formation CAFERUIS qui promeut une forme de management par le chiffre qui s’éloigne des valeurs du travail social et cède aux sirène de l’économisme ambiant.
Le sociologue nous donne aussi d’autre pistes : Il est important de transformer la plainte sur ce qui ne va pas en questionnement éthique. Nous avons à réhabiliter l’importance de la délibération autour de situations embarrassantes. Il faut pour cela observer ce qui fonctionne sur le terrain. en partant des « arrangements » qui se construisent dans l’action.
Bertrand Ravon propose de « mutualiser les incertitudes de chacun » quand la pratique s’écarte des normes attendues. Pour cela il faut faire appel à la réflexion éthique. Une éthique située, précise-t-il à partir de ce qui se passe sur le terrain. Elle permet de réguler les dilemmes et de « déculpabiliser » les professionnels confrontés à un sentiment d’impuissance.
Il s’agirait de passer des bonnes pratiques (valorisés dans les référentiels) aux pratiques acceptables. Pour cela l’auteur nous invite à valoriser des pratiques prudentielles. Comment ? En acceptant d’agir par tatonnement, tout en valorisant la prise de risques. Celle ci doit être mesurée. Enfin conclut-il il nous faut renser notre rapport au temps à une époque où tout va très (trop) vite. Acceptons les différentes temporalités, travaillons avec souplesse et développons la pluralité des points de vue et tout ira sans doute beaucoup mieux.
dubasque.org/quand-bertrand-ravon-nous-parle-des-epreuves-que-vivent-les-travailleurs-sociaux/
dubasque.org/autonomie-ou-injonction-les-dilemmes-du-travailleur-social-face-au-travail-prescrit/
"L'usager au centre du travail social Représentation et participation des usagers
Ainsi s’intitulait le mandat confié au groupe de travail que je présidais, lors de cette cinquième mandature du Conseil supérieur du travail social. La mission que nous avions était bien de rendre palpables, inscrits dans la pratique quotidienne de chacun d’entre nous, de chacune de nos institutions, qu’il s’agisse de services ou d’établissements, les droits des usagers tels qu’ils sont énoncés dans les lois de notre République. Et j’ai bien dit « les lois », car une erreur aurait été de nous contenter de nous fixer sur la loi du 2 janvier 2002 sur les institutions sociales et médico-sociales, en faisant une explication de texte, sans tenir compte des lois qui ont entouré celle-là, avant et après, et qui déterminent une conduite à avoir, qui que nous soyons, où que nous soyons, envers les usagers. Nous avons bien failli tomber dans le piège, en dictant à nos collègues les « bonnes pratiques » à mettre en œuvre pour satisfaire aux obligations de cette loi, en utilisant au mieux les procédures auxquelles elle nous oblige, s’il n’y avait eu au bout de six mois le sursaut du conseil pour nous envoyer à un travail d’orientation plus profond. Le conseil n’est pas fait pour dicter la morale professionnelle, il est fait pour permettre à chacun de réfléchir sur son action, et en trouver les références qui permettent la meilleure pratique possible. Laissons à d’autres qui veulent être les gendarmes de l’action, le catalogue des « bonnes pratiques » et le catéchisme qui y conduit. Nous savons bien, nous les praticiens, que les procédures ne sont rien, si elles ne résultent pas d’un état d’esprit, d’une certaine manière de comprendre et d’être, à tous les niveaux de l’action. C’est finalement cette manière d’être qui a mobilisé nos réflexions, et qui nous a conduits aux préconisations que notre rapport précise en fin de parcours après avoir interrogé un certain nombre d’expériences, et les avoir analysées.
C’est pourquoi, après un deuxième examen du conseil, nous avons également modifié le sous-titre sans changer l’objet principal de la mission, mais en lui donnant son sens réel : « De l’énoncé des droits de la personne à l’exercice de la citoyenneté. Conditions d’émergence de pratiques professionnelles novatrices. »
Qu’il me soit permis de faire ici un aparté sur le fonctionnement du csts, car nos groupes de travail ne réfléchissent pas d’une manière cloisonnée, comme beaucoup de groupes auxquels on demande un rapport sur une question donnée. C’est le va-et-vient entre le groupe et les séances plénières du csts qui permet un cheminement approfondi. S’il était utile de prouver l’intérêt du débat dans la démocratie, ce fonctionnement pourrait en être un exemple. Au moment où notre conseil est parfois accusé de lenteur et où certaines autorités souhaiteraient le voir produire plus rapidement, il n’est pas inutile de rappeler que la rapidité n’est pas forcément une garantie de qualité dans la production de la pensée. « Vous pensez trop », nous a dit quelqu’un que je ne nommerai pas. Ce qui lui paraissait un reproche, au nom de l’efficacité, me paraît, quant à moi, un compliment. Le jour où nous ne prendrions pas le temps de penser « ensemble », sonnerait sans aucun doute la fin de l’action sociale. Fermons la parenthèse.
Notre rapport commence donc par une histoire : celle de la progression des droits de l’homme à travers le temps, à travers l’espace, et de leur interprétation progressive dans les textes qui réglementent les prises en charge des personnes handicapées, quelle que soit l’origine de leur handicap, quelle qu’en soit la gravité. De l’énoncé du 26 août 1789 au premier chapitre de la loi du 2 janvier 2002, ce sont des phrases de plus en plus précises qui proclament les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme, qui conduisent au respect de sa dignité, de son intégrité, de sa vie privée, de son intimité, de sa sécurité, tous ces mots qui ont besoin d’être pesés, réfléchis, repensés pour qu’ils ne soient pas seulement déclarations de principe, mais réalité vécue. Et l’on mesure mieux alors cette contradiction à laquelle nous sommes confrontés : faire vivre ces valeurs, dans un monde de profit qui met à mal ceux qui ne peuvent suivre, tout en faisant semblant de nous demander de leur venir en aide et en soutien.
L’action sociale est un service public. C’est un devoir de l’État envers ceux qui sont « laissés sur le bord de la route ». C’est pourquoi ceux qui utilisent nos actions en sont les usagers, au sens de « titulaires » d’un droit d’usage, utilisateurs d’un bien public collectif, utilisateurs et non consommateurs. Car l’utilisateur est actif (d’où le sens de l’action sociale) alors que le consommateur est bien souvent passif. En tous les cas, si l’usager n’était pas acteur, ce serait à nous de faire en sorte qu’il le devienne, puisque tout usager est citoyen, et que le citoyen est partie prenante de ce qui se fait, de ce qui se passe dans son quartier, sa ville, son pays.
C’est pourquoi nous avons souscrit à la définition du travail social fournie par l’onu et reprise par le Conseil économique et social « Le travail social a pour vocation première d’aider à ce qu’une personne, une famille, un groupe de personnes, ait accès aux droits que la société lui confère et crée ou recrée des liens sociaux. C’est à partir des attentes du bénéficiaire, de ses problèmes, de la perception qu’il a de son propre devenir, de ses potentialités visibles ou à faire émerger que doit se développer le travail social. Celui-ci devra permettre à l’usager de devenir acteur de sa relation avec la société et de la réappropriation de ses droits. »
Pour ce faire, trois sortes d’acteurs : l’usager (légitimité d’usage), les représentants des pouvoirs publics (légitimité politique), les professionnels du social (légitimité de compétence). Ceci n’est pas nouveau. Je l’avais déjà décrit dans Empan à propos du projet. Mais c’est cette triple légitimité qui, quand elle s’exerce bien, conduit l’usager à s’exprimer en citoyen. À quelles conditions ? C’est ce que notre rapport s’est mis à explorer. Et sur le chemin de cette exploration nous avons rencontré le concept d’alliance : le soignant, l’éducateur, l’assistant de service social, l’intervenant ne peuvent conduire celui que la société leur confie pour un temps, vers l’exercice de sa citoyenneté, qu’en faisant alliance avec lui, croisant leurs savoirs avec le sien, échangeant leurs soucis et leurs souhaits réciproques. Ce n’est plus la personne qui doit se plier aux exigences de l’institution, c’est l’institution qui recherche les adaptations permettant à tout un chacun d’exister au milieu des autres.
Ce concept d’alliance, cher à nos amis d’atd Quart Monde que nous avons largement consultés, nous a amenés à changer l’image du travail social, telle que des années de service l’ont laissée se répandre. Il ne s’agit pas de se pencher sur les gens. Il s’agit d’adopter une posture qui permette le partage, l’échange, et modifie le rapport dominant-dominé souvent à l’œuvre, en institution, plus par habitude et facilité que par volonté réelle de puissance. Cette notion de posture, décrite comme une attitude à la fois physique et mentale impliquant le corps et l’esprit, nous l’avons travaillée à tous les niveaux, celui de l’usager lui-même, ni assujetti ni client-roi, celui du professionnel dont le savoir éclairant doit rechercher, pour qu’il devienne opérant, le savoir de l’usager dont la volonté et le désir sont indispensables à son évolution, celui des prescripteurs qui ne doivent jamais orienter ni proposer, sans avoir connu et compris les lieux et les équipes de travail qu’ils sont amenés à utiliser. Cette notion de posture, nous l’avons travaillée dans les deux formes principales que prend l’action sociale aujourd’hui, celle d’accueillir mais aussi celle d’aller à la rencontre.
La posture, nous dit le dictionnaire Larousse, est une attitude particulière du corps adaptée à une situation donnée, et les vieilles éditions nous parlent d’une recherche qui rend commode une situation qui pourrait être compliquée. Il y a donc dans ce mot à la fois une recherche attentive de l’autre et un positionnement qui devrait faciliter une compréhension réciproque. Cette attitude est valable pour nous. Elle devrait entraîner de la part du sujet et progressivement, une posture identique conduisant à une adhésion à ce que nous pouvons faire ensemble. Elle a une base éthique : la confiance que nous faisons au sujet dans sa capacité à mobiliser son potentiel utilisable. Mais elle est aussi une attitude qui se travaille et se bonifie avec le temps et l’expérience. Elle a donc aussi une dimension professionnelle indiscutable. Elle est, comme le dit si bien le philosophe libanais Abdo Kahi, « ce regard qui marie le saisissable avec l’insaisissable, le concret avec l’imaginaire, ce regard sur la réalité qui aura à la transformer en espérance ». Cet espoir de pouvoir flirter avec l’inconnu, au-delà de toute objectivité.
Mais cette attitude devrait aussi pouvoir exister chez tous les prescripteurs : médecins, magistrats, administration… (même si c’est sous une autre forme) ainsi que dans toutes les institutions (établissements, services…) qui se proposent d’accueillir ou d’aller à la rencontre.
Accueillir
La notion d’accueil est en lien avec l’écoute et l’observation ; il paraît évident qu’elle soit présente dans la posture que prendra l’instance d’orientation ou de placement pour les personnes en situation de handicap, en difficulté sociale… Ceci présuppose que ces prescripteurs aient une véritable connaissance des lieux d’orientation, de leur projet d’établissement ou de service, de leurs prestations identifiées, de leurs missions et de leurs fonctions.
Pour le service social, le travailleur social ne peut se limiter à un exercice de technicité, qu’il soit éducatif, psychologique, médical ou judiciaire. Cela suppose, dans un cadre fixé, une écoute attentive afin de pouvoir proposer une réponse adaptée à la demande ou à la situation de l’usager en difficulté sociale. Cela suppose aussi le respect de la personne, de son histoire, de son intimité, ainsi que la promesse de confidentialité des propos qu’elle nous tient, cette confidentialité ne pouvant être livrée que par l’intéressé lui-même pour une meilleure résolution des problèmes pour lesquels il nous a sollicités.
Les lieux où les personnes sont accueillies doivent participer de ce respect et de cet intérêt. Il ne s’agit ni d’un lieu « tape à l’œil » qui mette mal à l’aise ceux qui s’y trouvent, ni d’un lieu morne et triste comme les parloirs d’une prison ou les couloirs d’un hôpital. Le mobilier, la décoration, tout doit concourir à mettre à l’aise celui qui s’y rend.
Aller à la rencontre
Dans ce cas, une prestation est mise en place au bénéfice et auprès d’une personne ou d’un groupe de personnes qui ne demandent rien. Il revient au travailleur social de mettre en œuvre les moyens permettant la rencontre avec cette personne ou ce groupe. L’usager, ici, ne déclenche pas la prestation. Pour diverses raisons, qu’il s’agisse de son ignorance, de conduites d’évitement, de sa conviction que rien n’existe pour répondre à ses besoins et à ses souffrances, il n’y a pas de demande de sa part. En face, l’offre n’est pas toujours repérable : ni bureau ni enseigne. Il appartient au travailleur social de la faire connaître des personnes, en la leur amenant là où peut se produire la rencontre.
C’est le cas de la prévention spécialisée
En allant à la rencontre des jeunes, les éducateurs de prévention spécialisée créent les conditions d’une reconnaissance réciproque et d’une confiance qui permettent la construction et le développement d’une relation éducative.
Dans cette approche, l’offre relationnelle précède la demande, qui n’existe pas de façon élaborée chez de nombreux jeunes en souffrance ou en déviance. Les jeunes qui sont en conflit avec l’adulte, en transgression de la loi, à distance des institutions ou les utilisant de façon consommatoire sans réaménager leur perception d’eux-mêmes et leur rapport aux autres et au monde, qui vivent dans la désespérance, expriment trop souvent de façon brute et directe leurs besoins. Il s’agira de leur permettre d’élaborer une demande par un travail de socialisation considérable, peu visible, et dont la durée est imprévisible.
C’est aussi le cas de l’urgence sociale
L’approche de l’urgence sociale se distingue, dans les faits, du modèle de la définition médicale de l’urgence. Certes, l’état de la personne « à la rue » est critique. Certes, l’action devrait pouvoir s’enclencher d’urgence auprès d’elle. Mais, en fait, cette intervention sociale dite d’urgence ne se déclenche pas dans l’immédiateté d’une détérioration accidentelle de la situation de la personne. Elle n’intervient que bien après qu’un lent processus de destruction a fait son œuvre. Elle ne peut viser raisonnablement aucun retour à l’état antérieur pour les personnes ainsi secourues, même au prix de longues années de réinsertion.
Concernant la technicité du geste, toutefois, une forme spécifique au champ de la réponse à l’urgence sociale semble en voie d’élaboration par les équipes concernées. Nul ne s’étonnera qu’elle se réaffilie aux techniques traditionnelles du travail social de prévention spécialisée, car la gestuelle des intervenants sociaux, de quelque origine qu’ils soient, doit se conformer de la même façon aux particularités de cette rencontre à la rue afin qu’il y ait relation possible.
C’est encore le cas, quoique sensiblement différent, de l’aide à domicile
La posture des professionnels constitue, elle aussi, une démarche de rencontre par laquelle il faut « aller vers la personne » dans son milieu de vie, au cœur de son intimité, sans regard inquisiteur. Le professionnel peut embrasser d’un coup d’œil l’univers de la personne qu’il rencontre à son domicile. L’objet de son intervention lui devient ainsi plus apparent et plus compréhensible, tant il est vrai que l’environnement de la personne reflète souvent ses difficultés, ses manques, et met en valeur les situations d’inconfort les plus diverses. Autour et au-delà de l’acte codifié qui est attendu (toilette, emplettes, portage…), le travailleur social à domicile dispose d’une marge d’intervention complémentaire qu’il lui revient d’évaluer et de mettre spontanément en œuvre (laver la vaisselle qu’il voit traîner en faisant la toilette, aider à déballer et à ranger les emplettes qu’il amène, arroser les plantes vertes à l’occasion d’un portage…). Ce supplément d’intervention concourt à une meilleure efficience de l’acte codifié. La détente physique d’une toilette est sans nul doute plus appréciable sans la proximité des reliefs de repas sur un plateau non débarrassé. Quelle que soit la qualité de ces actes, ils ne prendront valeur d’actes de travail social que compris dans une relation d’écoute, de parole, de pensée entre le travailleur social et la personne aidée.
Voici donc notre usager (enfant, adolescent, adulte) entré dans une démarche dont nous avons minutieusement préparé les prémices.
Nous savons que cette démarche est un début, et que le temps va parfois être long, en tout cas le plus souvent différent d’un usager à l’autre, pour que de cette relation naisse un résultat sous forme de projet de vie, projet de soins, prise en charge et conscience de soi-même. C’est le début d’un processus, c’est-à-dire un enchaînement ordonné de faits ou d’actions répondant à un certain schéma et aboutissant à un résultat. Il s’agit d’un mouvement, d’une dynamique où nous intervenons à notre place et dans notre rôle, mais dont le déclencheur se trouve dans le sujet lui-même. Notre maillon n’est pas indépendant de ce qui s’est joué avant (ni d’ailleurs de ce qui se jouera après notre action), et pour pouvoir être utile, il doit se situer dans la continuité du parcours que nous accompagnons.
Accompagner, c’est partager (le compagnon est celui avec lequel nous partageons le pain). C’est, selon le Petit Robert, « se joindre à quelqu’un pour aller où il va, en même temps que lui ».
L’accompagnement vise à donner à la personne (ou à lui rendre) la maîtrise de sa propre vie. De manière sous-jacente, ce qui est recherché au travers du processus d’accompagnement, c’est la place de chacun dans la société à conquérir ou à reconquérir. L’accompagnement se fonde sur une relation orientée vers le « faire ensemble », c’est-à-dire une posture d’échange et de partage de l’accompagnant et de l’accompagné, mais aussi une démarche volontaire des personnes accompagnées (capacité d’engagements réciproques). L’accompagnement mise donc sur les capacités des personnes à développer leurs ressources propres, leurs capacités d’initiatives et de choix. Il nécessite que soit reconnu un facteur important : le temps. Le temps n’est pas prévisible au départ : le temps de comprendre, de choisir, d’associer, de construire. Le temps pour que l’accompagnement puisse conduire chacun à un contrat avec lui-même. C’est parce que le contrat de séjour est trop inscrit dans la durée que nous préférons la notion de contrat d’accompagnement qui s’étire différemment selon les personnes et les circonstances. Mais un tel contrat suppose un certain nombre d’évaluations au cours du processus.
Le csts a déjà écrit sur l’évaluation. Empan y a consacré deux numéros. Nous nous sommes donc contentés d’en rappeler les éléments principaux, en essayant, à partir d’un entretien avec Jacques Ardoino, de différencier l’évaluation de la démarche qualité.
La démarche qualité est une démarche d’origine industrielle qui se propose d’étalonner la qualité d’un produit à partir d’un référentiel stable qui énumère ses constituants, leurs qualités respectives, les traitements qu’on leur fait subir. Cette stabilité en fin de production devant produire un indice de satisfaction qui garantit la réussite de la commande et donc de sa vente, au moins pour une période donnée. C’est la définition du produit attendu qui détermine la qualité attendue, et toute infraction dans la démarche de production peut entraîner la responsabilité civile et même pénale du producteur. Celui-ci peut aussi se retourner vers les salariés qui auraient commis une infraction dans la démarche attendue. Certes, il peut y avoir des incidents, des imprévus, des impondérables, mais ils sont rapidement rectifiables et rectifiés. Car le produit attendu appartient au monde des choses.
Que peut-on dire autour des services aux personnes ?
– Le service est humain.
– Il appartient au monde de l’existence.
– Il concerne des personnes, donc des sujets humains qui en attendent des effets personnalisés donc divers.
Les interventions qui mobilisent le regard, l’empathie ou le sourire d’une aide-soignante, d’un assistant social, ou d’un éducateur à l’égard de la personne qu’ils accompagnent, peuvent être considérées comme contribuant à la qualité du service rendu. Il ne sera jamais possible de les nommer, au risque de tomber dans le factice, le simulacre, l’artificialité, ce dont témoignent des formations un peu rapides. Le geste, la mimique ne peuvent jamais remplacer le ressenti de l’instant manifesté. Il en est de même de l’état d’esprit, de l’humeur de celui qui reçoit.
En voulant faire des référentiels de tout, on cherche à rassurer, à partir d’une épuration de la complexité de l’existence.
Ceci étant, et parce que nous pensons que les évaluations sont indispensables, nous considérons que les procédures telles que nous les recommande la loi du 2 janvier 2002, sont à prendre en considération. Elles permettent aux praticiens d’évaluer la validité de leurs informations, de leurs recommandations, de leurs services, aux usagers de suivre la progression, aux autorités d’en apprécier la qualité et l’efficacité. Nous avons pris le temps de les analyser, d’en faire des tableaux qui puissent en faciliter l’exécution. C’est dire que nous ne les considérons pas comme mineures. Mais elles sont secondaires à l’action. Ce sont des moyens individuels et collectifs de vérification du travail. Elles n’en sont pas la finalité.
Quelques considérations sur la sexualité de la personne handicapée viennent, en fin de course, compléter ce rapport. Cela nous avait été demandé en séance plénière par la ministre qui présidait le conseil. Ces observations situent le problème, sans le traiter vraiment. Nous avons conscience qu’il aurait fallu un groupe de travail sur ce seul thème. Mais il faudrait sans doute, et surtout, que des groupes de recherche puissent, sans tabous, en analyser les éléments réels, ainsi que les résistances et les incohérences qui existent autour de cette question. Un jour viendra où il sera peut-être possible d’en faire un objet de travail véritable, sans que quiconque en soit choqué.
De ce long travail d’élaboration, d’échanges, de présentations, et d’investigations, nous avons retenu onze recommandations. Nous les avons présentées d’une manière courte en indiquant, par l’utilisation du verbe à l’infinitif, notre volonté de les voir se transformer en actions.
Les recommandations, les voici. Nous les avons regroupées selon trois axes :
Celles qui concernent tous les niveaux de l’action : de la décision, de la prescription à la mise en œuvre et à la réception. Elles ont une portée générale et touchent aussi bien les politiques que les administrations, les organisations, les pratiques, et les usagers eux-mêmes.
Garantir et faire respecter les droits
– Droit de l’usager au respect de sa dignité, de son intégrité, de sa vie privée, de son intimité, de sa sécurité.
– Droit au libre choix (sauf décision de justice) entre des prestations à domicile ou une admission en établissement.
– Droit à un accompagnement personnalisé de qualité respectant son consentement.
– Droit à la confidentialité des informations le concernant.
– Droit à l’accès à toute information relative à sa prise en charge.
– Droit à sa participation à son projet d’accompagnement, à son suivi, à son évaluation, à sa reformulation.
« Chez moi, je ne m’entends pas avec mes copains. Ils me traitent de handicapé, de mongol, des mots comme ça. Ici, les copains c’est différent. Ils sont gentils. Je m’amuse bien avec eux. »
Chacun de ces droits a besoin d’être parlé, débattu, clarifié à tous les niveaux de l’action.
Oser dénoncer sans acrimonie, mais sans restriction, les dysfonctionnements de nos services et de nos institutions
Reconnaître nos imperfections ne doit pas nous conduire à les justifier. Notre témoignage doit être solidaire de ceux que nous « accompagnons ».
Lutter contre l’hégémonie de la logique marchande et de son langage
Demander que soit appliquée à tous les usagers la pratique du respect de la personne ne peut, à notre sens, coïncider avec un langage marchand qui regroupe ces mêmes personnes dans un « lot » dont peuvent se porter acquéreurs des entreprises de services. Les usagers n’appartiennent pas au monde des choses, mais au domaine du vivant.
Veiller à ce que les enjeux politiques n’instrumentalisent pas les droits des usagers
Dans le souci de prévenir les risques inhérents à la vie en société, certains sont tentés de restreindre les droits des personnes que leurs origines, leurs difficultés sociales, des souffrances psychiques et autres « anormalités » rendraient susceptibles de commettre des infractions.
D’aucuns iraient jusqu’à recommander de signaler aux autorités les jeunes enfants dont l’observation d’une agitation jugée trop importante peut faire penser au début d’une conduite délinquante, et les adolescents dont les comportements délictueux sembleraient déterminants de leur avenir d’adultes. Pourtant le principe de non-discrimination est inscrit dans notre Constitution, et nous savons que toute pratique éducative et sociale se confronte forcément à certains risques.
Promouvoir la reconnaissance de l’opposabilité
L’opposabilité est le « caractère d’un droit, d’un moyen de défense que son titulaire peut faire valoir contre un tiers ». Mais pour pouvoir mettre en œuvre l’opposabilité, il convient que l’objet concerné par cette opposabilité soit un objet de droit, une chose « jugeable », attestée par un texte législatif.
Si tous les droits – quel que soit leur objet – sont en principe opposables aux tiers, les droits fondamentaux se révèlent plus déclaratifs et d’intention que réels, et nombreuses sont les impasses de leur applicabilité dès lors que le contexte économique, politique global et/ou local vient contredire ce que ces droits énoncent.
Pour qu’il n’y ait pas seulement intention, et en cas de réponse insuffisante ou parcellaire, les droits fondamentaux et les lois sociales devraient trouver une réelle effectivité et donner lieu à la mise en œuvre des conditions de leur opposabilité.
Celles qui concernent particulièrement les pratiques professionnelles et les organisations dans lesquelles elles s’exercent
Adopter une posture de connaissance mutuelle à tous les niveaux
Une bonne connaissance du schéma départemental des établissements et services est nécessaire avec des informations tenues à jour, chaque département ayant à cœur de connaître celui des départements limitrophes, de façon à réguler progressivement la demande et l’offre. Puisque décentralisation il y a, faisons en sorte que sur chaque territoire il y ait également le personnel qualifié nécessaire, tout en ne laissant pas seulement le hasard et la bonne ou mauvaise fortune donner pleine satisfaction à certains usagers en frustrant les autres, ce qui suppose réellement une régulation de l’État.
Si l’on veut que les droits des usagers soient respectés et, au-delà des droits, que leur personne entière soit respectée, car c’est au fond de cela qu’il s’agit, n’oublions pas au passage de respecter aussi la personne des salariés et des bénévoles, à tous les niveaux, qui sont en face des ces usagers. C’est aussi un message d’humanité que nous envoyons, et on ne peut couper en deux les recommandations : si les salariés et les bénévoles ne sont pas respectés eux aussi, le respect des usagers ne sera qu’une recommandation de façade, un slogan, une attitude artificielle et hypocrite sans efficacité sur le fond.
Favoriser et entretenir les espaces de débats
Si l’autonomie recherchée de tous les citoyens consiste bien à s’approprier les lois pour les faire siennes, des points ont besoin d’être débattus et clarifiés. C’est pourquoi nous avons insisté sur la démocratie participative, non par opposition à la démocratie représentative, mais au contraire en complément. Car si nos représentants élaborent et votent nos lois, ce sont nous, les citoyens, qui les faisons nôtres à travers leur compréhension et leur interprétation. Cela veut dire qu’à tous les échelons de l’action sociale nous avons besoin d’espaces (en temps et lieu) qui permettent le débat et l’interpellation.
Le citoyen sujet ne nous paraît pas être en effet un sujet passif et soumis, mais un sujet pensant et proposant.
Aménager de manière agréable les lieux d’accueil et les lieux de vie
Les postures que nous avons souhaitées seront facilitées par les lieux dans lesquels les usagers seront reçus ainsi que par le mobilier dont ils sont pourvus : ni luxueux, ce qui pourrait créer une certaine gêne qui rendrait plus difficile la relation, ni délabrés, ce qui serait perçu comme un manque de considération envers ceux et celles qui y sont reçus.
Celles qui concernent les formations adaptées des intervenants sociaux destinés à favoriser une vision positive de l’usager, de sa demande, et de son attente
Développer les compétences collectives
Il y a des compétences qu’aucun ne peut détenir ni inventer, ni construire seul. Elles se construisent par la mutualisation des pratiques et des connaissances. Il y a donc lieu de faire converger des professionnels différents vers un même objectif, en tissant ensemble leurs compétences, et de construire ainsi une professionnalité de l’institution susceptible de fournir la meilleure prestation possible.
Nous pensons également que l’institution fait preuve de cette compétence si elle intègre aussi le savoir des usagers.
Croiser les regards, croiser les savoirs, donc croiser les pratiques et croiser les pouvoirs.
C’est bien le sens de l’alliance que nous avons souhaitée.
Former
C’est-à-dire :
- réhabiliter les analyses des pratiques et les synthèses qui s’en dégagent ;
- favoriser la transversalité à tous les degrés de la décision, de l’action, de l’évaluation ;
- réhabiliter l’évaluation en ne la confondant pas avec le contrôle ;
- favoriser la créativité, pour permettre l’initiative et l’innovation, et de cette manière sensibiliser à la gestion du risque partagé ;
- donner les connaissances juridiques permettant de reconnaître les droits et les risques.
La dernière recommandation s’adresse à la personne de chacun d’entre nous
Être en refondation permanente
Les expériences auxquelles nous nous sommes confrontés pendant ces deux années, nous ont permis de penser que tout cela était possible à condition de nous mettre d’accord avec l’esprit des lois plutôt que de nous soumettre à leurs obligations, sans avoir pris le temps de l’analyse.
Ainsi se termine notre rapport. Je l’ai résumé ici à grands traits, espérant vous inciter à vous l’approprier dès que les éditions de l’ensp le mettront en circulation.
Notre but n’était ni de construire des modes d’emploi, ni de bâtir un nouveau catéchisme social. Il était de réfléchir sur ce qui permet l’émergence de pratiques nouvelles. Nous faisons suffisamment confiance à nos partenaires, à quelque niveau qu’ils se situent, pour savoir qu’ils en feront leur profit. Notre travail aura été et restera une étape dans ce lent cheminement d’une action sociale, malheureusement chaque jour plus utile, puisque l’organisation sociale n’a pas encore trouvé les moyens de ne jamais laisser quiconque sur le bord de la route.
cairn.info L'usager au centre du travail social Représentation et participation des usagers Jacques Ladsous Dans Empan 2006/4 (no 64), pages 36 à 45
* Vince
* Poke à l'éduc spécial - dessinateur - chroniqueur social - Mine & Plume - punchlines graphiques
Vince