Abbé PIERRE

Abbé PierreHenri Grouès, dit l’abbé Pierre, né le 5 août 1912 à Lyon 4ᵉ et mort le 22 janvier 2007 à Paris 5ᵉ, est un prêtre catholique français. Vicaire du diocèse de Grenoble en 1939, il est mobilisé pendant la Seconde guerre mondiale, puis résistant.
À la Libération, il est élu député. Il est connu pour être le fondateur du mouvement Emmaüs, une organisation non confessionnelle de lutte contre l'exclusion comprenant la Fondation Abbé-Pierre pour le logement des défavorisés et de nombreuses autres associations, fondations et entreprises de l'économie sociale et solidaire en France.
Un rapport commandé par Emmaüs International a révélé en juillet 2024 que l'abbé Pierre aurait commis des agressions sexuelles sur des femmes entre la fin des années 1970 et 2005. Des faits plus anciens, jusque dans les années 1950, ont aussi été rapportés par la presse et par un nouveau rapport, qui fait également état de violences sexuelles, y compris sur une mineure. Wikipédia


Œuvres

Les droits d’auteur et autres droits dérivés provenant de la vente ou de la diffusion de ses livres, disques audio et vidéo ont été reversés par l’abbé Pierre tout au long de sa vie au mouvement Emmaüs puis à la Fondation Abbé-Pierre à partir de la création de celle-ci en 1988. Depuis sa mort, Emmaüs International est légataire universel de ces droits78.

Ouvrages

  • 1954: Donnons-leur un toit aujourd’hui. Lettre de l'abbé Pierre au ministre de la reconstruction. Fac-similé Donnons-leur un toit aujourd’hui, avec P.Dufau, R. Gid, R. Morel, G.-H. Pingusson et Fr. Spoerry, éditions du Linteau, 2011.
  • 1988 : Cent poèmes contre la misère, éd. Le Cherche-midi, Paris (ISBN 978-2-86274-141-3).
  • 1994 : Testament… (ISBN 978-2-7242-8103-3). Réédition 2005, éd. Bayard/Centurion, Paris (ISBN 978-2-227-47532-8).
  • 1994 : Une terre et des hommes, éd. Cerf, Paris.
  • 1996 : Dieu merci, éd. Fayard/Centurion, Paris.
  • 1996 : Le bal des exclus, éd. Fayard, Paris.
  • 1997 : Mémoires d’un croyant, éd. Fayard, Paris.
  • 1999 : Fraternité, éd. Fayard, Paris.
  • 1999 : Paroles, éd. Actes Sud, Paris.
  • 1999 : C’est quoi la mort ?, livre didactique destiné aux enfants, utilisé aussi dans l’apprentissage de la langue française, éd. Albin Michel, Paris. (Cet ouvrage bénéficie aussi de nombreuses traductions et rééditions dans divers pays).
  • 1999 : J’attendrai le plaisir du Bon Dieu : l’intégrale des entretiens d’Edmond Blattchen, éd. Alice, Paris.
  • 2002 : Confessions, éd. Albin Michel, Paris (ISBN 978-2-226-13051-8).
  • 2002 : Je voulais être marin, missionnaire ou brigand, rédigé avec Denis Lefèvre, éd. Le Cherche-midi, Paris (ISBN 978-2-7491-0015-9). Réédition en livre de poche, éd. J’ai lu, Paris (ISBN 978-2-290-34221-3).
  • 2004 : L’Abbé Pierre parle aux jeunes, avec Pierre-Roland Saint-Dizier, éd. Du Signe, Paris (ISBN 978-2-7468-1257-4).
  • 2005 : Le sourire d’un ange, éd. Elytis, Paris.
  • 2005 : Mon Dieu… pourquoi ? Petites méditations sur la foi chrétienne et le sens de la vie, recueil où il aborde également des sujets d’actualités comme le célibat des prêtres, l’ordination des femmes, le fanatisme religieux, le désir et le sexe, le mariage homosexuel. Il a été rédigé avec Frédéric Lenoir, éd. Plon (ISBN 978-2-259-20140-7).
  • 2006 : Servir : Paroles de vie, avec Albine Navarino, éd. Presses du Châtelet, Paris (ISBN 978-2-84592-186-3).
  • 2007: Testament de 114 pages confié et publié dans la réédition de L’Abbé Pierre, par Bernard Violet, éd. Fayard.
  • 2007 : Clandestin, 1942-1944, éd. Vollodalen, Collection Citadelle, Paris (ISBN 978-2-9522069-3-8). Cet ouvrage reprend le texte d'une conférence prononcée par l'abbé Pierre le .
  • 2011 : Donnons-leur un toit aujourd’hui, avec P.Dufau, R. Gid, R. Morel, G.-H. Pingusson et Fr. Spoerry, éditions du Linteau, 2011. Fac-similé du livret publié au printemps 1954.
  • 2012 : Abbé Pierre, Inédits. Textes de combat, écrits intimes, correspondances, éd. Bayard.

Livres d'entretiens

  • 1987 : Bernard Chevalier interroge l’abbé Pierre : Emmaüs ou venger l’homme, avec Bernard Chevalier, Éditions Le Centurion, éd. LGF/Livre de poche, Paris (ISBN 978-2-253-04151-1).
  • 1994 : Absolu entretien avec Albert Jaccard, éd. Seuil, Paris. (Réédition sous le titre En route vers l'absolu, Flammarion, 2000)
  • 1993 : Dieu et les hommes, entretien avec Bernard Kouchner, éd. Robert Laffont (ISBN 978-2-221-07618-7).
  • 2004 : Abbé Pierre et Père Pedro, Pour un monde de justice et de paix : Entretiens, Paris, Presses de la Renaissance, , 230 p., broché (ISBN 978-2-7509-0044-1)
  • 2006 : L'abbé Pierre : Entretien et portrait, par Ariane Laroux : Portraits Parlés, éditions de l'Âge d'Homme.

Études sur l'Abbé Pierre et son œuvre

  • 2001 : La Planète des pauvres. Le tour du monde à vélo des communautés Emmaüs, de Louis Harenger, Louis Harenger, Michel Friedman, Emmaüs international, Abbé Pierre, éd. J’ai lu, Paris (ISBN 978-2-290-30999-5).
  • 2004 : L’Abbé Pierre, par Bernard Violet, éd. Fayard. Biographie réactualisée en avec la reproduction intégrale du testament de 114 pages que l’Abbé Pierre avait confié à l’auteur.
  • 2004 : L’Abbé Pierre, la construction d’une légende, par Philippe Falcone, éd. Golias (ISBN 978-2-914475-49-5).

Discographie

  • 1989 : Les Enfants sans Noël, avec une chorale d'enfants et une pléiade d'artistes, au profit d'Emmaüs.
  • 2001 : Radioscopie : Abbé Pierre - Entretien avec Jacques Chancel, CD Audio, ASIN B00005NK45.
  • 1988-2003 : Éclats De Voix, suite de CD Audio, Poèmes et réflexions, en quatre volumes :
    • Vol. 1 : Le Temps des Catacombes, rééd. label Celia, ASIN B00005R2LK,
    • Vol. 2 : Hors de Soi, rééd. label Celia, ASIN B00005R2LL,
    • Vol. 3 : Corsaire de Dieu, rééd. label Celia, ASIN B00005R2LM,
    • Vol. 4 : L'éternel combat, label Scalen, ASIN B00004VAP4.
  • 2003 : Le CD merci l'abbé de Gérard Verchère.
  • 2004 : Paroles de Paix de l’Abbé Pierre, suivi l'appel de l'hiver 54 ré-enregistré par l'Abbé Pierre pour le 50e anniversaire, CD audio, label Frémeaux & Associés, Créations pour la Paix, direction artistique : Christiane Gugger, ASIN B0001GLG2Y.
  • 2005 : Le CD Testament…, pour fêter le 56e anniversaire de la fondation d'Emmaüs (réflexions personnelles, textes et paroles inspirées de la Bible) (ISBN 978-2-227-47532-8).
  • 2005 : Avant de partir…, le testament audio de l’Abbé Pierre, CD audio et vidéos pour PC, prières et musiques de méditation, ASIN B000CCZ2PE.
  • 2006 : L’Insurgé de l’amour, label Revues Bayard, Paris, ASIN B000EQHSPU.

Films documentaires, documents vidéos, entretiens filmés, etc.

  • Vous direz à vos enfants… Le plus beau témoignage sur la beauté du don, entretien avec l’abbé Pierre, studio LCJ Éditions, Paris, ASIN B000BU9OVA, DVD PAL (région 2), 2005
  • L'abbé Pierre, la voix des sans-voix d'Agnès Hubschman, 2005
  • Paroles - Abbé Pierre. Série d'entretiens avec l'abbé Pierre. Rencontres avec Johnny Hallyday, Zinédine Zidane et le dalaï-lama. Édition Emmaüs Genève, Artémis Films Productions, 2 x DVD PAL, 2007
  • L'abbé Pierre, l'insurrection de la bonté de Diane Lisarreli (collection "D'après une histoire vraie"79 ; ARTE éditions, 2019

Films de fiction

Archives

Le fonds d'archives de l'abbé Pierre renfermant toute sa documentation ainsi que celle d'Emmaüs International, est conservé aux Archives nationales du monde du travail

 

                                Controverses et prises de position

Affaire Roger Garaudy

En avril 1996, son ami de longue date Roger Garaudy (penseur marxiste et ancien responsable politique communiste converti au catholicisme et ensuite à l'islam) est mis en accusation puis en procès pour négationnisme à la suite de la publication de son livre Les mythes fondateurs de la politique israélienne. Un des points de départ de l'auteur est le marxisme anti-israélien. Au cours de ce procès, l'abbé Pierre lui apporte son soutien, ce qui lui vaudra d’être exclu du comité d’honneur de la LICRA. Dans une lettre de soutien à l'auteur rendue publique le 18 avril 1996, l'abbé Pierre écrit tout le respect que lui inspire « l'énorme travail » réalisé par Roger Garaudy pour l'écriture du livre, et son « éclatante érudition, rigoureuse ». Il ajoute qu'accuser Roger Garaudy de « révisionnisme » (remise en cause de la réalité de la Shoah) est une « imposture », une « véritable calomnie »59,60.

Il expliquera néanmoins par la suite avoir agi « à titre amical61 » et se démarquera des tentatives pour « nier, banaliser ou falsifier la Shoah » dont il avait été lui-même témoin. Mais, selon les termes du quotidien L'Humanité, « ce revirement tardif ne dissipe cependant pas le malaise. »62. L’historien Pierre Vidal-Naquet déclare pour sa part : « Je crains que la prise de position de l’abbé Pierre ouvre les vannes d’une poussée antisémite. »63

Certains critiquent les propos de l’abbé Pierre sur l’idée de la terre promise dans l’Ancien Testament. En effet, il dénonce la prise très violente de cette terre par les Israélites, telle qu’elle est décrite dans la Bible : « Que reste-t-il d’une promesse lorsque ce qui a été promis, on vient de le prendre en tuant par de véritables génocides des peuples qui y habitaient, paisiblement, avant qu’ils y entrent », dira-t-il à Bernard Kouchner64. Il n’hésitera pas à en déduire une véritable vocation à l’exil de ce peuple : « Je crois que — c’est ça que j’ai au fond de mon cœur — que votre mission a été — ce qui, en fait, s’est accompli partiellement — la diaspora, la dispersion à travers le monde entier pour aller porter la connaissance que vous étiez jusqu’alors les seuls à porter, en dépit de toutes les idolâtries qui vous entouraient »64.

Certains voient dans ces déclarations une reprise tout juste voilée de l'ancienne thématique chrétienne de l'auto-malédiction d'un peuple juif « avatar de Caïn65 » (thématique désavouée par l'Église à l'occasion de la déclaration Nostra Ætate issue de Vatican II66) et, finalement, « une lecture de la Bible très conforme à l'antijudaïsme de certains catholiques avant Vatican II67,66 ».

L'abbé Pierre considère que le débat sur la Shoah reste ouvert : « ils [la LICRA] n’acceptent absolument pas le dialogue, contrairement à Garaudy. Ils considèrent que le débat (sur le génocide des juifs) est clos. Qu’oser le rouvrir n’est pas possible. Par exemple sur la question des chambres à gaz, il est vraisemblable que la totalité de celles projetées par les nazis n’ont pas été construites »68, propos auquel l’abbé Pierre ajoute toutefois : « Mais mes amis de la LICRA me disent qu’avancer de telles affirmations, c’est contester la Shoah. Ce n’est pas sérieux »68 (Roger Garaudy sera finalement condamné pour contestation de crimes contre l’humanité et incitation à la haine raciale).

Selon Jean-Claude Duclos, son amitié avec Roger Garaudy ne doit toutefois pas masquer les faits qui plaident pour l'abbé Pierre, notamment son combat pendant la Seconde Guerre mondiale pour sauver des Juifs69. Lui-même a toujours souligné70 que ses actions contre les persécutions anti-juives avaient précédé et motivé son entrée dans la Résistance et que ses positions politiques sont sans ambiguïtés quand il dénonce le fait que ces rafles anti-juives ont été conduites par la police française en un temps (été 1942) et un lieu (Grenoble, en zone non occupée) qui ne permettent pas d'invoquer le prétexte de la contrainte allemande. [réf. nécessaire]

La polémique, qui meurtrit durablement l’abbé Pierre, lui vaut le désaveu de certains de ses amis. Bernard Kouchner lui reproche « d'absoudre l’intolérable68 ». L'abbé est publiquement fustigé par le cardinal Jean-Marie Lustiger67. L'abbé Pierre est alors sommé par sa hiérarchie de prendre une retraite médiatique temporaire71 et part quelque temps en séminaire en Italie. Il y déclare au Corriere della Sera que la presse française est « inspirée par un lobby sioniste international72 ». L'affaire ne reçoit cependant que peu d’écho auprès de l'opinion française73, qui lui renouvelle sa confiance pendant de nombreuses années74, le classant en tête des personnalités françaises les plus aimées (jusqu’à ce que l’abbé retire lui-même son nom du classement).

L'abbé Pierre et les Brigades rouges

L'abbé Pierre a spontanément témoigné dans les années 1980 en faveur d'un groupe d'Italiens résidant à Paris et animant l'école de langues Hypérion. Le directeur de cette école, Vanni Mulinaris, avait été arrêté et emprisonné le 2 février 1982, lors d'une visite en Italie. Il était accusé d'être membre des Brigades rouges (BR). Il sera par la suite relaxé, totalement blanchi de cette accusation75 et même dédommagé par l'État italien pour trois ans de détention injustifiée76.

L'abbé Pierre se rend plusieurs fois en Italie pour protester contre les conditions de détention sans motivations et sans procès de Vanni Mulinaris, il rencontre le président Sandro Pertini, les juges, les avocats, plusieurs autorités morales, qui constitueront un comité italien demandant justice pour Vanni Mulinaris (le cardinal Martini, le sénateur et philosophe Norberto Bobbio, Giuseppe Branca ancien président de la Cour constitutionnelle, bientôt rejoints par 75 autres personnalités dont le journaliste Giorgio Bocca et le cinéaste Luigi Comencini).

L'abbé Pierre effectue également, pour réclamer justice, une grève de la faim durant 8 jours du 26 mai 1984 au 3 juin 1984, dans la cathédrale de Turin.

Il témoigne alors de son expérience personnelle des dérives de la justice italienne de l'époque. François Mitterrand décidera à partir de 1982 d'accorder l'asile aux réfugiés politiques italiens, pour ceux qui auraient clairement rompu avec la violence77,78,79.

Prises de position sur l'ordination des hommes mariés et le rôle des femmes

En 2005, dans son livre Mon Dieu… pourquoi ?, rédigé avec Frédéric Lenoir, il reconnaît à mi-mot avoir eu des relations sexuelles dans sa vie de prêtre, ce qu'Henri Tincq présente comme une « rupture du vœu de chasteté » : « Il m'est arrivé de céder à la force du désir de manière passagère, mais je n'ai jamais eu de liaison régulière, car je n'ai pas laissé le désir sexuel prendre racine. Cela m'aurait conduit à vivre une relation durable avec une femme [...]. J'ai donc connu l'expérience du désir sexuel et de sa très rare satisfaction. »80. À ce sujet, il invite les dirigeants d'Église à réfléchir sur une éventuelle réforme de la discipline de l’Église en faveur de l’ordination des hommes mariés. Il estime ne pas comprendre l’opposition des papes Jean-Paul II et Benoît XVI à cette possibilité, l’ordination des hommes mariés étant permise par l’Église dans certains rites catholiques orientaux. Il voit dans cette permission un moyen de lutter contre la pénurie des vocations. Il invite également à la réflexion sur la question de l’ordination des femmes81.

Accusations d'abus sexuels

Pour un article plus général, voir Abus sexuels sur les femmes dans l'Église catholique.

Le 17 juillet 2024 Emmaüs International publie un rapport de huit pages82 commandé au cabinet Egaé, dont la rédaction a été assurée par sa créatrice, la militante féministe Caroline De Haas. Ce rapport fait suite au témoignage d'une femme, fille d'un couple proche de l'abbé Pierre, venue rencontrer dans un premier temps Véronique Margron, présidente de la conférence des religieux et religieuses de France83, puis les responsables de l'association Emmaüs en juin 2023. Elle dénonce des « gestes graves » commis à son encontre au début des années 1980 alors qu'elle avait seize ou dix-sept ans83.

Contenu du rapport

Le rapport présente les témoignages de sept femmes, incluant le premier, rapportant des « comportements pouvant s'apparenter à des agressions sexuelles ou des faits de harcèlement sexuel » de la part de l'abbé Pierre entre la fin des années 1970 et 2005, l'une d'entre elles étant mineure au moment des premiers faits84,83,85. Deux témoignages mentionnés dans le rapport font état de signalements aux dirigeants d'Emmaüs en 1992 et en 1995 auxquels l'association n'a pas donné suite86. Le rapport relève « une forme d’emprise, alimentée par la différence d’âge, le statut de l’abbé Pierre et une forme d’idolâtrie, ou la situation de subordination entre lui et les personnes (proximité familiale, travail). »83. Selon le quotidien La Croix « ce rapport dévoile un homme d’Église qui ne s’empêche pas de chercher à assouvir ses pulsions, se sentant autorisé à poser des gestes répréhensibles par la loi de l’époque. »84

Le 20 juillet sur France Inter, une huitième femme témoigne d'une agression sexuelle en 2006, alors que l'abbé Pierre avait 93 ans et était soigné dans un hôpital militaire parisien. Selon le témoignage de cette infirmière, deux ou trois de ses collègues de travail ont eu aussi à subir le même traitement. Les faits n'avaient pas été rendus publics, l'intéressée ayant mis le comportement de l'abbé Pierre sur le compte de son âge avancé, ignorant totalement à l'époque que l'abbé Pierre avait commis les mêmes actes durant des décennies87.

Tribune de quatre chercheurs de la Ciase

Le 20 juillet, à la suite de la parution du rapport, le quotidien Le Monde publie la tribune de quatre chercheurs qui ont collaboré de 2019 à 2021 à la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église (Ciase). Philippe Portier, qui a présidé les travaux historiques de la Ciase, la politologue Anne Lancien ainsi que les historiens Paul Airiau et Thomas Boulu y écrivent ne pas être surpris par les révélations du rapport commandé par Emmaüs et la fondation Abbé-Pierre. En effet, parmi les 1 200 témoignages adressés par la Ciase qu'ils ont eus à traiter, trois mettaient en cause l'abbé Pierre. Ces trois témoignages signés ont été jugés cohérents et écrits sans concertation entre leurs auteures. L'un d'eux se retrouve dans le rapport publié en 2024 sur l'abbé Pierre.

Ils estiment que « la compulsion sexuelle de l’abbé Pierre qui débouche dans l’agression récidivante paraît indubitable. Données archivistiques et témoignages sont nombreux et cohérents. Cette compulsion n’a jamais vraiment cessé. [Le cas de] l'abbé Pierre confirme aussi, si c'était nécessaire, que la déviance sexuelle dans le clergé catholique était fort équitablement répartie dans toutes les tendances, progressistes ou intransigeantes. » Ils mettent aussi en cause le silence volontaire de la hiérarchie catholique et de l'œuvre fondée par l'abbé Pierre : « Les évêques informés et les responsables d’Emmaüs ont étouffé les affaires. L’occultation créait un secret partagé, au détriment des agressées, jamais prises en compte. [...] Les évêques des années 1950 n’ont pris aucune sanction canonique. [...] Les dirigeants d’Emmaüs se sont contentés de mettre en garde de manière officieuse et elliptique des femmes travaillant pour Emmaüs. »88

Des faits connus et anciens

L'enquête du magazine La Vie, sortie le jour de la parution du rapport, fait état de faits connus plus anciens remontant aux années 1950 et 1960. Selon certaines sources, l'abbé Pierre aurait eu sa première relation sexuelle avec une femme pendant la guerre alors qu'il était dans la Résistance. Sa popularité, avec la création d'Emmaüs en 1949 et son appel de 1954, aurait donné lieu à de nombreuses incartades sexuelles. Dès 1957, il est écarté de la communauté d'Emmaüs en raison de son inconduite par l'évêque de Grenoble, André-Jacques Fougerat88, et envoyé dans une clinique psychiatrique en Suisse. « Les prêtres déviants sont habituellement pris en charge en France par le Secours sacerdotal, la délocalisation laisse donc croire combien l’affaire est prise au sérieux. »88 Les Renseignements généraux ouvrent un dossier sur lui concernant ses mœurs. Malgré la vigilance de sa secrétaire, Lucie Coutaz, et de celui qui lui succède après son décès en 1982, l'abbé Pierre « aurait cependant poursuivi son comportement à risques. »83,84

Ainsi, Jean-Christophe d’Escaut, issu d’une famille accueillie dans la première communauté Emmaüs, à Neuilly-Plaisance (Seine-Saint-Denis), accuse le prêtre, dans un livre paru en 2007 intitulé L’Abbé Père, d’avoir tenté de toucher les seins de sa sœur en 1984. La chanteuse Sandra Slag affirme également dans son livre Le Saint et la Pécheresse paru en 2008 que le prêtre se serait déshabillé devant elle et sa fille en 1985, puis une seconde fois avec elle seulement en 199183.

Selon un autre témoignage parvenu à la Ciase, concernant des faits remontant aux années 1989-1990, une femme dans une situation personnelle difficile a demandé l'aide de l'abbé Pierre à l’abbaye de Saint-Wandrille (Seine-Maritime). « Il l’aide matériellement, puis l’utilise : relations sexuelles, masturbation devant elle, fellation, flagellation, proposition de triolisme avec une autre femme. »88

Évoquant sa nomination en 2010 comme directeur du centre Abbé-Pierre d’Esteville (Seine-Maritime), où le fondateur d’Emmaüs est inhumé, Philippe Dupont rapporte que « certaines personnes qui avaient connu [l'abbé Pierre] [lui] ont très vite parlé de relations avec des femmes. »83 Les comportements de l’abbé étaient connus au sein d’Emmaüs. Selon l'un des témoins entendus par le cabinet ayant produit le rapport, « ce n’était pas un épiphénomène. » Le quotidien La Croix rapporte que « plusieurs femmes affirment également avoir rapporté les faits au sein du mouvement. » Une salariée d'Emmaüs indique que « la consigne était donnée à ses collègues féminines de ne pas aller voir l’abbé Pierre seule. »84

Selon Axelle Brodiez-Dolino, historienne de la pauvreté en France et auteure de l’ouvrage Emmaüs et l’Abbé Pierre paru en 2009, « l’abbé Pierre a eu du mal à réfréner son désir pour les femmes tout au long de sa vie. » Elle juge le rapport « très convergent d’un témoignage à l’autre »83. Dans cet ouvrage, elle avait documenté les compulsions sexuelles du prêtre connues dès les années 1950-196088 qui, selon elle, constituaient, dès cette époque, un « secret de polichinelle »89.

Biographe et ami intime de l'abbé Pierre, Pierre Lunel rapporte dans son ouvrage paru en 1992, 40 ans d'amour, ce qu'il appelle les « égarements du Père » et ses « inconduites ». Il écrit à ce sujet : « Emmaüs est à la merci de la moindre révélation, mais la force du mythe assure le respect, à l’extérieur, de la loi du silence observée par les proches. La presse a trop contribué à édifier la statue de l’abbé pour se renier en la brisant. »90

Dans son livre de mémoires, Paysan de la rive droite, paru en juillet 2023, un an avant la publication du rapport, le théologien André Paul évoquait des faits de harcèlement de la part de l'abbé Pierre contre des femmes, que l'auteur aurait passés sous silence sans « les récentes révélations des ignominies sexuelles de personnalités aussi insoupçonnables que Jean Vanier et l'abbé Jean-François Six. ». Les faits auraient eu lieu au Québec, alors que l'abbé Pierre faisait la promotion des fraternités d'Emmaüs : « L'affaire se serait réglée à l'amiable entre la police locale et les autorités ecclésiastiques ». Il aurait eu les mêmes agissements vis-à-vis de femmes en charge de l'hôtellerie dans une communauté religieuse en Suède où il faisait des séjours occasionnels, à tel point que « le supérieur aurait exigé qu'à l'avenir il ne revînt qu'accompagné d'un socius [un autre religieux]. »91

Réactions d'Emmaüs et de la Fondation Abbé-Pierre

Dans un communiqué, Emmaüs International, Emmaüs France et la Fondation Abbé-Pierre « saluent le courage des personnes qui ont témoigné et permis, par leur parole, de mettre au jour ces réalités. »92 Le délégué général de la Fondation, Christophe Robert, se dit sous le choc de la découverte de tels actes et « en colère » : « J’en veux à l’abbé Pierre d’avoir fait ainsi souffrir ces femmes et je salue le courage qu’elles ont eu de témoigner. »

Second rapport

Le 6 septembre 2024, le cabinet Egaé publie un second rapport83 faisant état de dix-sept nouveaux témoignages qui évoquent des propos à caractère sexuel, des baisers imposés, des agressions sexuelles sur une personne vulnérable et sur une mineure ainsi que des fellations imposées qui peuvent être qualifiées de viols. Les accusations concernent la période comprise entre les années 1950 et 2000 et émanent de différents pays qui comprennent, outre la France, les États-Unis, le Maroc, la Suisse et le Canada. Dans un communiqué commun84 avec Emmaüs France et Emmaüs International, la Fondation Abbé-Pierre annonce le changement de son nom et de son logo, la fermeture du lieu de mémoire d'Esteville dédié au fondateur et la mise en place d'une commission indépendante d'historiens chargée d'enquêter sur les dysfonctionnements qui ont permis à l'abbé Pierre de commettre des abus pendant plus de 50 ans85,86,87. Selon le quotidien La Croix, « les accusations de femmes mineures au moment des faits, dont une était alors âgée de 9 ans, marquent un tournant particulièrement grave dans l’affaire concernant le fondateur d’Emmaüs [et] une escalade brutale [...] de nature à changer radicalement la perception du "héros" de la lutte contre le mal-logement »88.

Réactions

Dans un entretien accordé au Parisien, Véronique Margron, qui avait recueilli la première l'un des témoignages publiés dans le rapport, demande de la part d'Emmaüs la mise en place d'une instance de réparation destinée aux victimes de l'abbé Pierre, sur le modèle de l'Instance nationale indépendante de reconnaissance et réparation (Inirr) et de la Commission reconnaissance et réparation (CRR). Elle fait valoir que la responsabilité « échoit au mouvement Emmaüs car l'abbé Pierre, jusqu'à la fin, en a été l'image et le fondateur ». Selon elle, les accusations portées contre le prêtre évoquent un « prédateur en série », comparable à Jean Vanier ou aux frères Thomas et Marie-Dominique Philippe89,90. Interrogé sur RTL le 9 septembre, Adrien Caboche, directeur général d'Emmaüs international, déclare que le mouvement réfléchit et travaille sur la question de l'indemnisation91. Le même jour, la cellule investigation de Radio France publie une enquête documentée qui reproduit différentes archives sur les abus de l'abbé Pierre dans les années 1950-196087.

De nombreuses communes envisagent de renommer des lieux publics portant le nom de l'abbé Pierre92. Interrogé par RCF et Radio Notre-Dame, le président de la CEF, Éric de Moulins-Beaufort annonce le 12 septembre 2024 l'ouverture des archives, notamment à l'intention des chercheurs de la commission indépendante mise en place par Emmaüs93. Le 13 septembre, le pape François, interrogé par un journaliste du Monde lors d'une conférence de presse, fait savoir que les faits de violences sexuelles de l'abbé Pierre étaient connus du Vatican depuis des années, au moins depuis sa mort en 2007

 

 

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